L’Europe veut sécuriser son approvisionnement en matières premières critiques

Port de Rotterdam © Christelle Marot

Enjeux

Très dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement en matières premières minérales essentielles pour son industrie, l’Europe entend relocaliser certaines productions et renforcer la responsabilité et durabilité des chaînes de valeurs. Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, elle n’est pas dépourvue de ressources.

Bauxite, lithium, niobium, silicium, cobalt, tungstène, tantale, platinoïdes, terres rares… Au cours des trente prochaines années, la demande européenne et mondiale pour les métaux et minéraux « critiques », dont le risque de pénurie d’approvisionnement est élevé, est appelée à exploser. Des matières premières critiques, indispensables pour assurer la transition énergétique et répondre aux besoins des industries automobile, aéronautique, de défense et numérique.

Pour satisfaire ses ambitions de neutralité climatique pour 2050, l’Union européenne aura ainsi besoin de 18 fois plus de lithium et de 15 fois plus de cobalt en 2050 qu’aujourd’hui pour fabriquer les batteries de véhicules électriques et stocker l’énergie. La demande de terres rares utilisées dans les aimants permanents pour les véhicules électriques, les technologies numériques ou les éoliennes pourrait être multipliée par dix d’ici à 2050, indique l’UE. De son côté, l’Organisation de coopération et de développement économique prévoit que l’utilisation mondiale de métaux passera de 8 milliards de tonnes en 2011 à 20 milliards de tonnes en 2060, soit +150%, tirée par toutes les régions du monde, et en particulier l’industrialisation des pays en développement d’Afrique et d’Asie.

Or, l’approvisionnement de nombreuses matières premières critiques est fortement concentré. La Chine fournit ainsi 98% de l’approvisionnement de l’UE en terres rares, l’Afrique du Sud 71% des besoins de l’UE en platine, la République démocratique du Congo 68% de l’approvisionnement de l’UE en cobalt, le Chili 78% des besoins en lithium, la Guinée 64% des besoins en bauxite, le Kazakhstan 71% des besoins en phosphore. Et « une part importante de l’approvisionnement en matières premières critiques provient de pays où les normes de gouvernance sont faibles, ce qui pose un risque pour la sécurité de l’approvisionnement mais peut également exacerber les problèmes environnementaux et sociaux comme le travail des enfants », souligne la Commission européenne.

Un plan d’action pour les matières premières critiques

Dépendante de matières premières qu’elle n’extraie pas ou très peu, et rendue plus vulnérable par la pandémie de Covid-19 qui a perturbé les chaines mondiales d’approvisionnement et de logistique, l’Union européenne a résolu d’organiser des filières résiliantes et annoncé en septembre 2020 son Plan d’action sur les matières premières critiques (qui confirme les principes de l’Initiative sur les matières premières lancée en 2008). Le plan liste 30 matières premières critiques pour l’Union européenne en 2020, (14 en 2011, 27 en 2017), dont le lithium, la bauxite, le titane et le strontium pour la première fois. Concrètement, ce Plan d’action vise à réduire la dépendance grâce à l’innovation et à une utilisation circulaire des ressources. Il encourage l’extraction minière et la transformation industrielle sur le territoire européen, en s’appuyant notamment sur le programme d’observation terrestre Copernicus pour identifier les projets miniers. Il doit permettre de développer, dans les actes délégués sur la taxonomie d’ici fin 2021, des critères de financement durables pour les secteurs miniers, extractif et de la transformation. Le plan d’action vise aussi à promouvoir des pratiques minières responsables pour les matières premières critiques. L’objectif est également de renforcer la coopération stratégique internationale pour garantir un approvisionnement diversifié en matières premières critiques durables, en commençant par des partenariats pilotes avec le Canada, les pays intéressés en Afrique et le voisinage de l’UE en 2021.

Mesure phare de ce plan d’action : la création de l’Alliance européenne pour les matières premières critiques (ERMA), lancée officiellement l’automne dernier, qui connecte les industries extractives, les industries de transformation, les fédérations professionnelles, les pouvoirs publics des États membres, les organismes de recherche et les syndicats, en vue de renforcer la résilience et l’autonomie stratégique des chaînes de valeur. L’Alliance se concentrera sur les terres rares et les aimants dans un premier temps, avant d’être élargie aux autres matières premières critiques. Parmi les parties prenantes de l’ERMA, figurent des groupes miniers, sidérurgiques et chimiques de premier plan comme les Français Eramet, Orano, Imerys, le Britannique Anglo American, le Luxembourgeois ArcelorMittal, l’Espagnol Atlantic Copper, le Belge Solvay, des industriels comme l’Allemand Siemens, les Français Valeo, Suez, Veolia, etc. Au total plus de 300 entreprises, plus de 150 associations et fédérations professionnelles et plus d’une centaine d’organismes de recherche et universités ont rejoint l’ERMA.

« Si nous n’agissons pas maintenant, l’accès aux matières premières critiques pour notre industrie sera compromis à l’avenir. Le quasi-monopole détenus par les pays asiatiques sur les terres et minerais rares, et la concurrence des prix exercée par ces fournisseurs ont provoqué une baisse des capacités de production en Europe et il est grand temps de remédier à cette situation », a commenté Jan Pie, secrétaire général de l’association européenne d’aérospatiale et de défense ASD, saluant le lancement d’une telle alliance. « Il faut mettre davantage l’accent sur le recyclage des matériaux, les principes de l’économie circulaire et les solutions novatrices pour réduire l’utilisation des matières premières primaires, remplacer les matières premières critiques et améliorer l’efficacité de l’extraction. La BEI est prête à continuer à faire la différence dans ces domaines et à mobiliser des financements, y compris des instruments de partage des risques, là où il y a des lacunes sur le marché », a précisé de son côté Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI).

Le syndicat européen IndustriAll y voit, lui, une opportunité pour créer de nouveaux emplois dans les régions européennes disposant d’un fort potentiel minier, comme aux Asturies en Espagne (tungstène), au Portugal (lithium), en France (fluor), en Norvège (cobalt), en Suède (terres rares), en Finlande (cobalt, phosphate). « Nous y voyons aussi une opportunité de reclasser des travailleurs qualifiés dans les régions qui devront à terme sortir du charbon, comme en Pologne », précise à Enjeux Judith Kirton-Darling, vice-secrétaire générale du syndicat européen IndustriAll.

Comment bâtir des filières d’approvisionnement en matières premières critiques, qui soient sûres, durables et responsables ? Sur quels instruments, standards ou politiques s’appuyer ? De nouvelles normes internationales visant à standardiser l’exploitation et le commerce du lithium, notamment, sont en cours de développement, portées par l’ISO sous l’impulsion de la Chine, qui en assure le secrétariat. Un sujet sensible et un dossier que le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, suit de près, lui qui a exhorté les États membres de l’UE à s’engager plus activement dans la définition de normes internationales sur le lithium, composant utilisé dans les véhicules électriques, au risque de voir le bloc communautaire être marginalisé par la Chine sur ce dossier.

L’OCDE et les « minerais de sang »

Parallèlement, les initiatives volontaires sectorielles fleurissent, comme celle portée par l’Alliance pour une extraction éthique du cobalt (FCA) fondée en 2020 par le fabricant néerlandais de smartphones équitables Fairphone, pour mettre fin au travail des enfants dans les mines artisanales, et rejointe par Tesla, Huayou Cobalt, mais aussi par le négociant Suisse Glencore, pourtant mis en cause à maintes reprises par l’ONG Public Eye pour non-respect des normes environnementales et sociales en Bolivie, en Zambie et au Congo notamment.

Les principes directeurs de l’OCDE pour une diligence raisonnable à l’intention des entreprises multinationales, pour des chaînes d’approvisionnement en minerais responsables, sont là aussi pour accompagner les entreprises minières et de transformation (portail d’information sur les risques de la chaine d’approvisionnement en cours de développement). Principes sur lesquels se fonde le Règlement européen 2017/821, sur les minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque, entré en vigueur le 1er janvier 2021, et qui fixe des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’or, de l’étain, du tantale et du tungstène. Cette réglementation se base sur le devoir pour les entreprises importatrices de tracer l’origine de ces minerais, à l’image de la réglementation américaine (Conflict Minerals Act). Les obligations sont relatives aux systèmes de gestion, à la gestion des risques, aux audits. En réponse à la demande des industriels, la Commission européenne doit fournir avant la fin de 2021 une « liste non exhaustive, indicative et régulièrement mise à jour » des zones de conflit ou à haut risque. La Commission fournira aussi une analyse des « signaux d’alerte » (red flags).

Face à l’intérêt croissant en matière de durabilité et d’exploitation minière responsable, la norme de l’Initiative pour une certification responsable de l’exploitation minière (IRMA), créée en 2006, apparait également comme un outil crédible de contrôle qualité. L’IRMA est une initiative multipartite administrée conjointement par la société civile, les collectivités touchées, les syndicats, notamment IndustriAll et le Syndicat des métallos unis, et le secteur privé. Cette norme comporte 26 chapitres sur les questions sociales dont la santé et la sécurité communautaires, les droits de l’homme, la lutte contre la corruption. S’agissant des questions environnementales, la norme protège les ressources en eau et vise à réduire la pollution atmosphérique, à protéger la biodiversité ainsi qu’à promouvoir une gestion sûre des déchets.

Reste que pour Judith Kirton-Darling, vice-secrétaire générale du syndicat européen IndustriAll, « c’est une future loi européenne sur le devoir de vigilance des multinationales qui fera la différence dans cette filière d’approvisionnement de matières premières critiques. Les initiatives volontaires ont leur limite. Il est absolument nécessaire de réglementer au niveau de l’extraction, du secteur de la transformation mais aussi au niveau du recyclage des déchets, pour lequel nous avons de grandes craintes ».

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