Énergies renouvelables : les géants des hydrocarbures avancent à petits pas
Jeune Afrique

Malgré les ambitions affichées de réduire leurs émissions de CO2, les majors n’ont pas lancé en Afrique autant de projets dans le solaire, l’éolien ou l’hydrogène que sur les autres continents. ENI et TotalEnergies se mettent toutefois en ordre de marche.
Transition énergétique oblige, les géants de l’or noir investissent dans les renouvelables en Europe, en Amérique du Nord et en Asie, multipliant les acquisitions, les coentreprises et les partenariats dans le solaire, l’éolien ou encore l’hydrogène.
En janvier dernier, TotalEnergies a notamment pris 20 % du capital de l’indien Adani Green Energy, l’un des premiers développeurs de projets solaires du monde avec un portefeuille de 15 GW, une opération de 2,5 milliards de dollars.
De son côté, Lightsource Renewable Energy, la branche des renouvelables de BP, est devenu le plus grand développeur solaire en Europe avec des centrales en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni, en Italie, en Pologne et des projets en Grèce et en Australie. Il vise les 25 GW d’énergie solaire à l’horizon 2025 et a également de grandes ambitions en Amérique du Nord.
Des investissements limités
Et l’Afrique dans tout ça ? Pas grand-chose pour l’instant. En dépit d’un potentiel solaire incontesté au Maghreb et en Afrique australe et malgré les possibilités offertes par l’éolien en Afrique du Nord et en Afrique de l’Est, les investissements des majors restent limités.
Sur le continent, les géants occidentaux préfèrent se concentrer sur l’augmentation de la part gazière de leur production. « En Afrique, les investissements actuels des majors, quasiment tous dans le solaire, ne dépassent pas 200 mégawatts au total par pays. Chacun des projets tourne en général autour de 10-20 MW, et ils sont implantés là où les groupes sont déjà actifs », indique Roderick Bruce, directeur associé en recherche et analyse à la division pétrole et gazAfrique d’IHS Markit.
« Les grands groupes européens investissent dans l’éolien offshore en Europe, mais nous ne voyons pas beaucoup d’investissements dans les nouvelles énergies en Afrique », explique Simon Nicholas, analyste énergie à l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA).
« Leurs représentants se plaisent à mettre des photos d’installations éoliennes et solaires sur les couvertures de leurs publications. Mais dans les faits ils continuent de s’engager largement en faveur des combustibles fossiles et soutiennent que le gaz naturel est un carburant de transition, alors qu’il fait justement partie des problèmes discutés à la COP26 », regrette le même interlocuteur.
Timide et opportuniste
Sur le continent, le mouvement est en effet timide et opportuniste, au coup par coup. Il n’est pas favorisé par des contraintes réglementaires pesant sur les industriels et énergéticiens, comme dans l’Union européenne, qui entend réduire ses émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030.
Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), l’Afrique représentait 2 % seulement de la capacité mondiale d’énergies renouvelables installées en 2020, à comparer aux 46 % de l’Asie, aux 21,7 % de l’Europe et aux 15 % de l’Amérique du Nord. Quant à la production africaine, elle n’a été que de 171 405 GWh en 2019, soit 2,46 % d’une production mondiale établie à 6,96 millions de GWh cette année-là.
Derrière cette faible présence dans les renouvelables africains, il y a notamment la prudence des majors sur les questions de rentabilité et de sécurité de leurs investissements. Les géants extractifs et leurs avocats se montrent tatillons quand il s’agit de signer un contrat de vente d’électricité avec les gouvernements locaux et sociétés nationales dont elles craignent les impayés.
La complexité des montages public-privé pour financer, exploiter et partager les risques allonge les négociations, tout comme le manque d’infrastructures réseaux et hors réseaux et l’absence de cadres réglementaires adéquats.
Décarbonation et reforestation
Les majors privilégient actuellement une logique de décarbonation de leurs propres activités extractives, en optimisant la dimension environnementale de leurs projets gaziers et pétroliers – c’est ce que dit faire TotalEnergies en Ouganda – ou en lançant des projets de compensation carbone, tel celui de reforestation au Congo-Brazzaville, également entamé par le groupe français. De son côté, ENI favorise la production de biocarburants.
Dans le même temps, les compagnies pétrolières nationales africaines ont jusqu’à présent des objectifs modestes voire inexistants concernant les énergies renouvelables. En la matière, elles restent dépendantes des flux de financements publics internationaux. En 2019, ces flux se sont établis à 5,6 milliards de dollars pour l’Afrique, soit un tiers des 17,37 milliards fléchés en faveur des énergies renouvelables au niveau mondial, indique l’Irena dans son dernier rapport.
C’est extrêmement peu en comparaison des investissements dans l’extractif, puisque le projet Mozambique GNL, mené par TotalEnergies, est au moins deux fois plus coûteux à lui tout seul…
Des filières affectées aux énergies propres
Dans ce contexte, certaines majors tentent toutefois de se mettre en ordre de marche, en créant des filières spécialisées dans ces sources d’énergies « propres » ou en concluant des partenariats avec les compagnies nationales qui souhaitent monter en compétence sur le sujet. Le plus actif en la matière est le groupe pétrolier et gazier italien ENI, qui s’engage directement au capital de projets solaires à hauteur de 50 %.
Son plus gros investissement, la centrale photovoltaïque de Ouargla, d’une capacité de 10 MW, se situe dans le Sahara algérien au niveau du champ Bir Rebaa North (BRN). L’installation solaire est développée et exploitée en partenariat avec la compagnie nationale de pétrole et gaz Sonatrach. Inauguré en juillet 2019, la centrale fournit 15 % de l’électricité nécessaire au fonctionnement du centre de traitement des hydrocarbures de BRN (environ 20 GWh par an), exploité par ENI, jadis électrifié par le réseau national fonctionnant surtout au fioul.
Elle permettra de réduire de 260 000 tonnes les émissions de CO2 au cours des vingt-cinq prochaines années. ENI et Sonatrach ont également conclu un accord pour construire en Algérie un laboratoire de recherche avancée sur les technologies solaires et hybrides. Les deux groupes entendent étendre leur coopération à une joint-venture pleinement tournée vers le secteur des énergies renouvelables en Algérie.
Le géant italien piloté par Claudio Descalzi est également actif en Tunisie, où il a ouvert deux autres centrales solaires (de 5 et de 10 MW de capacité) dans le gouvernorat de Tataouine, dans le sud du pays, construites et exploitées en partenariat avec l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap). Un accord a été passé avec la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg) pour le rachat de l’électricité produite, ce qui devrait permettre d’éviter l’émission de 422 500 tonnes de CO2 sur vingt-cinq ans.
Pour ENI, la Tunisie et l’Algérie ont également le potentiel pour devenir de grands producteurs d’hydrogène vert (fabriqué grâce à l’électricité issue des énergies renouvelables). Enfin en Angola, plus récemment, ENI a formé une joint-venture à parts égales avec Sonangol, appelée Solenova, pour construire et exploiter la centrale solaire de Caraculo d’une capacité de 50 MW dans la province de Namibe, qui sera connectée au réseau électrique angolais, permettant de fournir 20 GWh par an. Sa mise en service est prévue d’ici à la fin 2022.
Ambitions mesurées
Côté français, TotalEnergies, dirigé par Patrick Pouyanné, maintient des ambitions et une présence réduites en Afrique, contrastant avec son objectif de figurer dans le top 5 mondial des producteurs d’énergies renouvelables.
« Nous sommes en train de finaliser le recrutement d’un responsable d’exploration des renouvelables pour chacune de nos 45 filiales, indique Henri-Max Ndong Nzue, patron Afrique de TotalEnergie E&P. Les compagnies nationales, telles Sonangol en Angola et NNPC au Nigeria, sont devenues très demandeuses d’une coopération avec nous. »
Pour l’instant, les ambitions du français semblent exclusivement solaires et centrées sur l’Afrique du Sud, le Burkina Faso, l’Ouganda, l’Égypte et depuis peu l’Angola, via deux véhicules : le constructeur solaire américain SunPower Corp que le groupe français détient à 51,6 % et TotalEren, producteur indépendant d’électricité, dont il est actionnaire à 30 %.

Via SunPower et en partenariat avec l’entreprise sud-africaine Mulilo Renewable Energy, TotalEnergies construit et exploite depuis 2016 l’une des plus grandes centrales solaires photovoltaïques au sol d’Afrique, sur 200 hectares, d’une puissance de 86 MW, installée à Prieska dans la province sud-africaine du Cap Nord. L’électricité produite à Prieska est injectée dans le réseau pour alimenter 75 000 foyers dans la nation Arc-en-ciel.
De son côté, TotalEren possède 150 MW de capacité installée sur le continent, à travers des centrales solaires photovoltaïques en exploitation en Égypte (126 MW au sein du méga-complexe solaire de Benban, qui doit totaliser à terme près de 1 800 MW), au Burkina Faso (15 MW à destination de la mine d’or d’Iamgold Essakane) et en Ouganda (10 MW pour approvisionner le réseau et les zones rurales).
En Angola, TotalEren vient de signer en octobre 2021 un partenariat stratégique avec Sonangol (30 %) et Greentech (19 %) pour développer la ferme solaire de Quilemba (35 MW) dans la province de Huila, qui alimentera le réseau électrique dans le sud du pays.
Enfin, pour les deux autres majors actives en Afrique, Shell et BP, le sujet des renouvelables n’est clairement pas une priorité. Royal Dutch Shell est aux abonnés absents, et Lightsource BP affiche une présence très limitée sur le continent africain, en Égypte seulement, à travers un partenariat stratégique conclu avec Hassan Allam Utilities pour développer et exploiter 50 MW d’actifs solaires au cœur également du complexe de Benban.