Au Maroc, le temps presse
Les Afriques
Au Maroc, les réformes structurelles ont été engagées et l’économie fait montre aujourd’hui d’un dynamisme certain. Les investissements étrangers sont au rendez-vous. La croissance semble moins volatile. Mais la pauvreté touche encore 15% de la population et le taux d’analphabétisme reste particulièrement élevé.
Les observateurs de la scène économique et politique marocaine sont unanimes. Quelque soit la mouvance du prochain gouvernement, constitué au sortir des élections législatives du 7 septembre, les grandes orientations économiques devraient être maintenues.
Continuité donc, dans la politique de libéralisation et d’ouverture du pays, en passe de devenir la coqueluche des investisseurs européens et arabes dans les secteurs du tourisme et de l’immobilier. Dernière annonce en date, celle du constructeur automobile Renault, qui prévoit l’installation d’une nouvelle usine de montage de 200 000 véhicules par an près de Tanger. Selon l’Office des changes marocain, en 2006, ce sont pas moins de 25,4 milliards de dirhams (près de 2,3 milliards d’euros) qui ont été investis; la France figurant en tête devant l’Espagne, avec 41% des flux, grâce aux opérations de privatisation notamment. « Le Maroc ne peut pas se développer sans les investissements étrangers, car il n’a ni les capacités financières, techniques et de management», indique Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales (IMRI). Parallèlement, l’assouplissement du contrôle des changes, annoncé début août, augure d’un mouvement en faveur de la convertibilité du dirham, souhaité par le marché, et attendu en 2009.
Continuité également dans les infrastructures et l’aménagement de sites à destination des entreprises, qui vont du port de TangerMed, à l’autoroute Casablanca-Marrakech, en passant par la plateforme de Casashore ou le pôle aéronautique de Nouacer. A l’origine, les plans Azur pour le tourisme et Emergence pour l’offshoring et la sous-traitance procèdent d’une stratégie de mise en valeur des avantages comparatifs potentiels du Maroc, parmi lesquels la proximité avec l’Europe, le bénéfice des accords de libre échange, un coût de main d’oeuvre relativement bas.
La croissance plus durable
Pour Nicolas Bouzou, économiste et directeur de la société de prévisions économiques Asterès, « la vague de réformes a commencé à porter ses fruits, l’économie sortant progressivement de son ancien modèle rentier ». Jean Christophe Batlle, directeur de l’assureur crédit Euler Hermes au Maroc, confirme la dynamique des secteurs du BTP, du tourisme et du textile. Ce dernier, en particulier, a su adapter son mode de production aux délais de plus en plus courts exigés par les donneurs d’ordre espagnols, permettant de soutenir la concurrence chinoise. Sur l’échelle 2007-2008 des risques de défaillances commerciales dans le monde, le Maroc est noté BB, au même niveau que l’Afrique du Sud, le Botswana et la Tunisie.
En 2006, la croissance du PIB a atteint 8,1%. Et si les conditions climatiques ne lui permettront pas de dépasser 3% en 2007, reste que la croissance du secteur non agricole est moins volatile que par le passé. Les fondamentaux sont plutôt bons. Dans sa dernière revue début août, le FMI rappelle que le déficit budgétaire a atteint 2,1% du PIB en 2006. Grâce aux recettes du tourisme et aux transferts de fonds des résidents à l’étranger, la balance des transactions courantes devrait être excédentaire pour la septième année consécutive. Petit bémol, le déficit de la balance commerciale en pourcentage du PIB se creuse. Par ailleurs, l’endettement public externe diminue. Selon le FMI, la dette de l’Etat atteindrait 58,2% du PIB en 2006. Enfin, l’inflation demeure relativement modérée à 3,3%.
Il y a urgence à réformer l’éducation et la justice
Le Maroc séduit. Mais cela n’enlève rien à ses insuffisances. « C’est un pays à plusieurs vitesses (…) Le secteur agricole est totalement négligé, il pâtit d’une absence de stratégie», indique Mohamed Maarouf, directeur de PlanetFinance à Casablanca. Et pourtant, l’agriculture draine encore près de 40% de la population active, parmi les plus démunis. Au Maroc, le taux de pauvreté est de 15%. « Il y a la microfinance pour ceux qui peuvent prendre des initiatives mais pour les autres, rien, aucun filet social », souligne Mohamed Maarouf. Si le chômage est à la baisse, environ 9,7%, c’est sans compter le chômage déguisé et le faible taux d’activité des femmes. Le pari du décollage économique et social au Maroc nécessite de la main d’oeuvre qualifiée. Or le taux d’analphabétisme est de 45%. «Il y a besoin de changer radicalement le système éducatif », s’emporte Noureddine Ayouch, président de la fondation de microcrédit Zakoura et de l’association 2007Daba. On estime à 10 000 le nombre d’ingénieurs à former par an d’ici 2010, contre 4000 aujourd’hui. Le Maroc devra en outre être capable d’absorber plus de 400 000 nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi chaque année. La santé est également décriée. L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), lancée en 2005 et d’un coût de mise en oeuvre estimée à 2 milliards de dirhams en 2006, est encore trop récente. Autre facteur de mécontentement : la justice. « Nous devons lutter contre l’impunité, la corruption, protéger les acteurs. La justice est le corollaire nécessaire pour attirer les capitaux », souligne M. Maarouf. L’immobilier et notamment l’acquisition de patrimoine foncier est visé. Des affaires récentes ont justement jeté le discrédit sur des proches du pouvoir.
Le temps presse. Sur le plan économique, le Maroc dispose encore de quelques années devant lui pour se mettre à niveau et devenir compétitif avant la mise en oeuvre totale de l’accord de libre échange avec l’Union européenne en 2012. Sur le plan social, il s’agit d’empêcher la reproduction d’un mode de pensée radicale, alimentée par la pauvreté, la perte de repères identitaires et le sentiment d’injustice, d’autant que la stratégie de développement du Maroc s’appuie sur l’attraction de grandes entreprises étrangères.