Au Maroc, les associations de microcrédit ne veulent pas perdre leur âme
Les Afriques
Le microcrédit marocain doit gérer son succès. Le débat est ouvert entre les partisans du statut d’IMF et ceux qui craignent de s’écarter de leur mission sociale.
Avec plus d’un million de bénéficiaires, le microcrédit au Maroc se porte bien. Tellement, qu’il suscite moult questions et controverses. Pour les uns, il est grand temps de se transformer et d’acquérir le statut d’institutions de microfinance (IMF), prôné par la Banque mondiale. Pour d’autres, le temps de la réflexion s’impose, afin d’éviter les dérives, notamment le glissement vers la financiarisation qu’ont connu d’autres associations de microcrédit (AMC) dans le monde. L’énorme plus value dégagée après l’introduction en bourse en avril dernier de Banco Compartamos, IMF de référence au Mexique, a fait s’interroger sur sa capacité à arbitrer entre objectifs sociaux et commerciaux.
Au Maroc, l’association Al Amana, qui vient de fêter ses 10 ans, est le premier intervenant du secteur avec 52% des encours du secteur à 1,8 milliard de dirhams (161,3 millions d’euros), suivie de la fondation Zakoura avec 774,5 millions de dirhams (69,4 millions d’euros). Au total, elles sont une quinzaine d’AMC à détenir une licence, devenues une référence pour la sous-région. Le Maroc compte en effet plus d’un tiers des bénéficiaires du microcrédit dans le monde arabe avec des résultats performants. Alors que cette industrie financière pratique en général des taux plus élevés que le marché, les AMC marocaines ont, elles, des taux qui se rapprochent de plus en plus des taux bancaires. « Globalement, c’est moins de 2% par mois et pour les plus performantes le taux est inférieur à 1% par mois », indique Mohamed Maarouf, directeur local de PlanetFinance. Les AMC marocaines ont atteint une dynamique et une taille critique qui autorisent des économies d’échelle.
« Mais aujourd’hui, elles sont bloquées », estime M. Maarouf. « Leur statut les autorise à accorder des crédits mais pas à collecter l’épargne. Or pour être crédibles et équilibrées financièrement, elles doivent aller dans ce sens. En outre, l’épargne est un besoin exprimé par les populations », ajoute t-il. Pour le directeur de PlanetFinance, la solution est d’aller vers le statut d’IMF ; un souhait également exprimé par Al Amana. Le faible taux de bancarisation du pays, environ 25%, laisse ouvert le champ d’intervention à destination des ménages et des très petites entreprises : microcrédit, épargne, microassurance, transferts ou monétique.
De son côté, le directeur général de Zakoura, Aziz Benmaazouz, se montre prudent et met en garde d’un « glissement vers une mission qui ne serait plus tout à fait celle de venir en aide aux plus pauvres ». «Il serait dommage de ne pas s’accorder de temps de réflexion sur les possibilités et modalités de la transformation ». La plupart des IMF dans le monde sont en effet constituées en Sociétés Anonymes, dont les actionnaires peuvent avoir des objectifs qui les éloignent de la sphère sociale. Pour le directeur de Zakoura, le passage au statut d’IMF n’est pas nécessaire pour offrir de l’épargne par exemple. « Zakoura externalise ce service, via un partenariat avec la Poste. Aujourd’hui, nous avons 80 000 bénéficiaires qui détiennent un compte épargne », souligne t-il. La fondation compte toucher un million de bénéficiaires à l’horizon 2011, pour un encours de 7,5 milliards de dirhams et un ratio de dettes sur fonds propres de l’ordre de 6,5 à 7. « Il est possible de respecter certains ratios sans avoir à collecter de l’épargne ou se transformer en SA pour pouvoir capter des fonds nouveaux », précise M. Benmaazouz. «Je ne dis pas qu’il ne faut pas aller vers le statut d’IMF, mais nous devons poser le débat pour éviter les dérives », ajoute t-il.
Pour Rida Lamrini, président de l’association INMAA pour le microcrédit, l’accès aux ressources pour les AMC au Maroc n’est pas aujourd’hui un réel problème. « Il existe un fonds de refinancement des associations, le secteur bancaire est plus chaleureux avec les associations que par le passé, l’Etat et les associations ont signé un accord cadre pour une subvention de 200 millions de dirhams, sans négliger l’enveloppe prévue par le Millenium challenge account ». Le Fonds américain vient en effet d’accorder 697,5 millions de dollars sur 5 ans au Maroc, dont 46,2 millions pour le financement des petites entreprises et l’appui aux AMC. « Nous devons veiller à rester proches des gens et poursuivre notre mission première qui est la lutte contre la pauvreté », ajoute M. Lamrini, par ailleurs président de la Fédération des associations de microcrédit (FNAM).