Ces golfs qui pompent l’eau

L’Express

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La frénésie du golf s’est emparée du Maroc. Le  nombre de parcours – une vingtaine aujourd’hui- devrait plus que doubler au cours des deux prochaines années.

A Marrakech, première destination touristique du royaume, cet engouement frôle l’extravagance. Une dizaine de terrains créés par des sociétés immobilières – Addoha et Alliances Développement- ainsi que par les groupes émirati Reem Investments, bahreïni Gulf Finance House ou mauricien Beachcomber, s’ajouteront aux quatre déjà en activité : Royal Golf, Palmeraie Golf Palace du groupe Palmeraie Développement, Amelkis et plus récemment Samanah Country Club du groupe immobilier français Alain Crenn.

« Un ou deux golfs en plus se justifierait, mais pas davantage. La plupart de ceux projetés visent surtout à faciliter les ventes immobilières » reconnaît Charles Roy, ancien directeur du golf du Palmeraie Golf Palace. Pourtant, nul n’ignore que la ville ocre souffre d’un stress hydrique récurrent et qu’il fait trop chaud la moitié de l’année pour pratiquer ce sport. « Six mois par an, l’activité tourne. Les six autres mois, on ne peut rien faire, mais on continue d’arroser le gazon, indique Gérard Courbin, directeur de la SEV, une société de construction, de rénovation et d’entretien de parcours de golf. En moyenne, un golf de 18 trous au Maroc, consomme 3 500 à 4 000 m³ d’eau par jour ».

A la différence de l’Europe, abreuvée de pluies régulières, le Maroc doit arroser ses golfs toute l’année, malgré l’emploi de semences hybrides plus résistantes à la sécheresse et la salinité. L’an passé, certes, le pays a connu de très fortes averses. Mais habituellement, la pluviométrie moyenne annuelle est de l’ordre de 250 mm d’eau par an.

Dans le club house du Palmeraie Golf Palace, idéalement situé au cœur de la palmeraie de Marrakech et offrant une vue spectaculaire sur les montagnes de l’Atlas, trois jeunes Françaises attendent de partir sur le green. Le parcours est facturé entre 45 et 50 euros, quand il peut atteindre 100 euros dans l’Hexagone. « La clientèle est à 65% française », confie Mehdia Cherkaoui, l’actuelle directrice du golf. Pour l’entretien des 77 hectares, estimé à près de 8 millions de dirhams (700 000 euros) par an, l’eau utilisée provient pour moitié de puits creusés dans la nappe phréatique et pour moitié du réseau d’eau potable.

Attablé à un café du quartier Gueliz, Youssef Sfairi, ingénieur eaux et forêts, responsable syndicaliste et président de l’association Amal Palmeraie pour la sauvegarde du site, soupire : « La nappe phréatique diminue, il faut creuser de plus en plus profondément. Les palmiers vieillissent, leurs racines ne parviennent plus à être arrosées ». Pour creuser un puits, il faut une autorisation des autorités marocaines. Celles-ci se fondent sur des études d’impact sur l’eau et l’environnement. Mais ces rapports sont souvent, dans les faits, réalisés par des cabinets privés qu’il est aisé d’acheter. «Ces études, qui prétendent expliquer comment pomper, réguler, qui établissent des recommandations, sont complètement bidon (…) On donne toujours l’accord pour construire le golf ! », avoue un professionnel, sous couvert d’anonymat.

Le salut de Marrakech devrait venir de la future station d’épuration, qui assurera la redistribution des eaux traitées pour l’alimentation des golfs et des grosses industries. Ce qui devrait permettre, d’ici deux à trois ans, d’interdire les forages. « On voit bien qu’il n’y a pas eu d’études d’impact en amont, car il aurait fallu commencer par construire cette station puis les golfs. On a mis la charrue avant les bœufs », commente le même professionnel.

« C’est moins la quantité consommée qui dérange que le mode de consommation » souligne Mehdi Lahlou, universitaire à Rabat et président de l’Association pour le contrat mondial de l’eau (ACME) au Maroc. « L’agriculture est la première à gaspiller l’eau dans le pays, ajoute-t-il, mais dans un pays qui manque d’eau, le golf apparaît comme un usage anormal, superflu ». Un touriste au Maroc consomme en moyenne, piscines et terrains de golf compris, 500 litres d’eau par jour, alors qu’un Marocain ordinaire dispose, lui, de 40 litres. Pour le président de l’ACME c’est  « cette confrontation des chiffres, ce déséquilibre entre des consommateurs privilégiés et le consommateur moyen marocain qui est le plus insupportable socialement».  En compétition avec la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, le Maroc est prêt à tout pour attirer les touristes… Le royaume espère recevoir 172 000 golfeurs à l’horizon 2010. Ils étaient environ 60 000 en 2006. « On estime volontiers les retombées positives du tourisme, mais jamais les effets négatifs (…) Au coût réel, le prix de l’eau payé par les touristes est sous évalué », ajoute Mehdi Lahlou.

Selon pS-Eau, réseau d’ONG partenaires pour l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous dans les pays du Sud, les ressources en eau naturelle, en moyenne annuelle par habitant, ne sont déjà plus très éloignées, au Maroc, du seuil des 1000 m3 considéré comme critique par les spécialistes. Pour l’ensemble du royaume, ce taux se situera autour de 745 m³ à l’horizon 2020. A cette date, près d’un tiers de la population totale du pays disposera de moins de 500 m³ par habitant et par an, considéré comme le seuil du manque d’eau chronique.

Sur l’océan Atlantique, Agadir est fière de ses trois golfs (Royal Golf, Golf du Soleil du groupe Tikida et Golf des Dunes du Club Méditerranée). Deux autres viendront bientôt compléter son offre avec l’ouverture du Golf de l’Océan (groupe Atlantic Palace) et la mise en service de Taghazout, la station balnéaire du plan Azur, réalisée par le promoteur américain Colony Capital. « Contrairement à Marrakech, Agadir peut se prévaloir d’être une destination golfique toute l’année, souligne Gérard Courbin, le directeur de la SEV. Les températures y sont nettement plus douces. Mais l’eau y est plus chargée en sel, ce qui pose un  problème pour l’arrosage des pelouses. A terme, Agadir ne pourra se passer d’une unité de dessalement ». Il y a bien, à 10 kilomètres de la ville, une station d’épuration. Mais les canalisations qui auraient permis d’alimenter les terrains du golf avec l’eau retraitée n’ont pas été prévues. Un gaspillage : la station, selon un spécialiste, rejetterait dans la mer entre 25 000 et 30 000 m3 d’eau épurée par jour…

Au Maroc, les terrains de golf fleurissent même aux portes du désert. Près de Ouarzazate, le Ouarzazate Lake City devrait bientôt sortir de terre. Porté par le groupement maroco-belge Palmeraie Développement, Maghreb Siyaha et Thomas & Piron, le projet, estimé à 600 millions d’euros, se veut le « Las Vegas marocain », avec casinos, hôtels, parc aquatique. Et bien sûr l’inévitable parcours de golf. A deux pas des salles de jeu, serait-ce le pari de trop sur les capacités en eau de la région ?

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