Maroc-Algérie: une frontière qui ruine l’économie et les familles
Syfia/InfoSud
L’est du Maroc souffre, économiquement, de la fermeture avec l’Algérie. En sont aussi victimes, les familles séparées, pour qui se réunir est un véritablement parcours du combattant. Les produits algériens bon marché, eux, passent clandestinement sans guère de problèmes.
« Le plus dur avec cette frontière fermée, c’est le coût humain, souligne Driss Houat, député et président de la Chambre de commerce, d’industrie et de services de la ville d’Oujda, capitale de la région de l’Oriental, au nord-est du Maroc. Les familles, les amis sont séparés, les jeunes générations perdent le contact ».
La frontière en question est celle qui sépare l’ouest de l’Algérie et l’est du Maroc. Entre Oujda, la Marocaine, et Lalla Maghnia, l’Algérienne, deux villes distantes d’une trentaine de kilomètres à peine, près de la côte méditerranéenne, cela fait quinze ans que les désaccords diplomatiques empêchent de circuler librement.
Un trousseau de clés à la main, Fathia, la cinquantaine, responsable du stock d’une usine à Oujda, se désole : « Voilà six ans que je n’ai pas vu mes deux tantes âgées, installées à Oran et Alger. On se parle par téléphone. Pour y aller, il faudrait passer par Casablanca, puis prendre l’avion pour Oran. C’est long et trop cher. Un jour, une de mes tantes a tenté de passer clandestinement. Elle a fait demi-tour lorsqu’elle est tombée nez à nez avec un soldat. J’ai peur de ne pas les revoir avant qu’elles disparaissent », confie Fathia, le regard perdu.
« Ici tout le monde a de la famille de l’autre côté, des grands parents, des frères, des cousins. Et tous souhaitent que la frontière s’ouvre. Les gens sont les mêmes, ont le même tempérament, le même langage, le même accent, les mêmes traditions. Économiquement, les deux pays ont tout à gagner à s’ouvrir », estime Rachid, chef d’agence de la société française SQLI à Oujda, lui-même né en Algérie.
Pain et médicaments
Certains prennent malgré tout des risques. Naïma, mère de deux adolescents, dont le père vit à Alger, passe outre la crainte de se voir arrêter ou tirer dessus par les militaires et franchit la frontière à travers champs. « Tous les ans, nous partons en Algérie une vingtaine de jours. Je donne 3 000 dirhams (près de 270 €, Ndlr) à un passeur pour traverser, généralement tôt le matin, en voiture », raconte-t-elle.
Les passeurs ne manquent pas dans les parages. Il suffit de payer et ne pas omettre de rémunérer les gardes marocains, sans leur adresser la parole. Venant d’Algérie, quelques minutes suffisent pour traverser le filet d’eau séparant les deux pays. Près du site balnéaire de Saidia, au nord ; à Ahfir, au centre ; ou plus au sud, du côté de Oujda et même dans les villages avoisinants, les Algériens des frontières se promènent allègrement et se sentent comme chez eux. « En été, je passe mes soirées à Saidia et je rentre au petit matin », raconte Salim, venu de Marsat Ben M’hidi, sur la côte algérienne. Pour lui, « les frontières n’existent que dans les têtes de ceux qui les ont érigées. Même s’ils édifient le mur de Berlin ici, nous le traverserons. Ils ne vont pas nous emprisonner quand même ! »
Même les baguettes de pain passent quotidiennement de Maghnia à Oujda, où un marché appelé Souk El Fellah (marché du paysan) propose exclusivement des produits algériens. Ce nom désigne les anciennes grandes surfaces algériennes ouvertes du temps du socialisme. Les produits soutenus par le Trésor public voisin font fureur au Maroc, par ces temps de crise. A Ahfir, nous croisons un Casablancais venu avec une tonne d’ordonnances, à la recherche de médicaments, surtout ceux destinés aux malades chroniques et non pris en charge par la sécurité sociale marocaine, mais largement subventionnés en Algérie. La ventoline (pour les asthmatiques), par exemple, coûte dix fois plus cher au Maroc qu’en Algérie.
À une quinzaine de kilomètres de la ville d’Oujda, le poste frontière est pourtant bien gardé : un barrage, des hommes en uniforme, un panneau qui signale une interdiction de photographier. Mais il en est autrement des champs avoisinants, par lesquels transitent les produits de contrebande. Celle-ci emploierait près de 6 000 personnes, selon les milieux d’affaires. En tête des produits vendus sur le marché parallèle au Maroc : l’essence algérienne deux fois moins chère, les dattes, des couvertures, des ustensiles de cuisine, des produits de beauté, mais aussi des médicaments.
L’Algérie, pas prête
Certains ont fait d’autres choix. Mahdjoub, par exemple, un maçon originaire de Oujda, habite une baraque dans l’un des bidonvilles qui ceinturent Oran où il travaille clandestinement depuis quinze ans. Il fait de temps à autre la traversée « juste pour donner de l’argent à ma famille ». Nombreux sont les Marocains qui se sont installés clandestinement en Algérie où leur savoir-faire dans le bâtiment est très recherché.
Selon le président de la Chambre de commerce d’Oujda, l’ouverture de la frontière permettrait aux petites et moyennes entreprises d’échanger davantage et de développer les services. De faire repartir le tourisme également, au moment où le réseau routier s’améliore. Dans la ville d’Oujda, de nombreux hôtels construits à l’époque où les Algériens venaient encore en villégiature sont laissés à l’abandon. Dans la région, le tissu industriel reste peu développé. Les matériaux de construction, l’agro-alimentaire et la pêche sauvent l’essentiel de l’activité économique, après la fermeture, dans les années 1980, des mines de fer. Parallèlement, l’informel et les trafics se sont développés. « Avant, les Algériens arrivaient par voitures, par train, par bus, par taxi, explique Ouahid, un Oujdi. Oujda vivait et respirait. Aujourd’hui, la ville est morte. Rien ne bouge ici, sauf la contrebande. »
Mais l’Algérie a-t-elle intérêt à ouvrir ses frontières ? Taoufiq Boudchiche, directeur de la coopération internationale auprès de l’Agence de développement de l’Oriental, ne le pense pas : « La question politique est un prétexte. Il s’agit davantage d’un problème économique. L’Algérie est une économie fermée, basée sur le pétrole. Qui dit intégration régionale, dit harmonisation fiscale, transparence. L’Algérie n’est pas prête pour l’économie de marché, basée sur la coopération et la libre circulation des flux de marchandises. »
Lasse d’attendre et sous l’impulsion du Roi, la région de l’Oriental a décidé de prendre son avenir en main. Depuis 5 ans, Oujda est en chantier : infrastructures de transport, faculté de médecine flambant neuve, remise à niveau de la ville. Au niveau économique, les autorités projettent de lancer une technopole sur les métiers de services liés au tourisme, à l’équipement électrique et à l’offshoring, ainsi qu’un Kyoto parc dédié aux énergies renouvelables. Encore faut-il que cela tienne la route…