Maroc: le défi écologique

L’Express

station Fès

Gestion de l’eau et des déchets, énergies renouvelables, lutte contre la pollution : le royaume joue la carte de l’environnement.

L’écologie au service du développement ? Le royaume veut y croire. C’est au Maroc que sera célébrée cette année, le 22 avril, la Journée de la terre. A cette occasion, une Charte de l’environnement et du développement durable, calquée sur le modèle français, sera signée en présence du roi. Si elles approuvent le principe d’une telle charte, les associations de défense de l’environnement restent cependant perplexes. D’autant qu’elles n’ont pas été consultées.

« Jusqu’ici, ni le gouvernement ni les entreprises marocaines n’ont réellement manifesté d’intérêt pour l’environnement. Cette Charte est donc une bonne surprise. Mais nous aimerions participer à son élaboration. Or nous n’avons aucune information » indique Moundir Zniber, qui préside l’association Pour un Maroc vert et dirige Maroc Dômes, un cabinet conseil en développement durable. Un point de vue que partagent Brahim Abouelabbes, le président de l’Association marocaine pour l’écotourisme et la protection de la nature (AMEPN) et Abdlehadi Bennis qui anime le club environnement de l’association Ribat Al Fath pour le développement durable.  Le secteur associatif aura la possibilité de donner son avis sur le texte, affirme cependant le directeur général du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), Saïd Mouline. La Charte, promet-il « sera présentée très prochainement au public » et « un site internet spécialement créé » pour recueillir les avis.

Pour les défenseurs de l’environnement marocains, les urgences sont multiples : l’eau, d’abord, accaparée à plus de 85% par l’agriculture, qui en gaspillerait près du tiers, dans un contexte de sécheresse de plus en plus prononcé ; une mauvaise utilisation des pesticides et des engrais vendus à prix coûtant aux paysans ; la pollution des sols et de la mer ; la perte de la biodiversité. Les associations s’inquiètent aussi d’une politique pas toujours cohérente dans la mesure où certains plans sectoriels contredisent la volonté affichée d’intégrer la dimension écologique…

Force est de constater cependant que, du coté des entreprises, le changement de ton est radical depuis quelques années. La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a labellisé une vingtaine de grandes sociétés pour leur engagement social et environnemental. Et les pouvoirs publics ont multiplié les incitations. « On commence par sensibiliser, puis on met en place des outils d’accompagnement. La réglementation n’intervient qu’en dernier ressort. Et même si nous devons y recourir, il ne s’agit pas d’appliquer les règles les plus strictes observées ailleurs. L’intention n’est pas de mettre en difficulté les entreprises », souligne le directeur du CDER, qui est également président de la commission environnement à la CGEM.

Le CDER a créé en 2000, avec le ministère de l’Industrie, un Centre marocain de production propre, afin d’aider les entreprises à déterminer leur degré de pollution. L’arsenal juridique se met en place : cinq lois ont été promulguées concernant l’eau, l’air, les déchets, les énergies renouvelables et les études d’impact. D’autres, sur l’efficacité énergétique ou le littoral, sont en cours d’élaboration. L’élimination totale des sacs en plastique est prévue pour 2013. « Après, il faut être sur le terrain et pouvoir contrôler !» convient Saïd Mouline.

Aujourd’hui, la politique environnementale du pays s’articule autour de quatre grands programmes : l’assainissement liquide et l’épuration des eaux usées (4, 4 milliards d’euros à l’horizon 2020), le traitement des déchets (3, 6 milliards d’euros à l’horizon 2020), la lutte contre la pollution atmosphérique et la prévention des risques industriels.

Côté assainissement, l’objectif est de doter 330 villes en stations d’épurations d’ici 2020. Pour l’heure, seules 24 existent, tandis que 9 sont en cours de réalisation. La station de traitement des eaux usées de Marrakech, qui sera totalement opérationnelle fin 2010 (la première tranche est en service depuis fin 2008), produit déjà du biogaz, à travers la récupération des boues par des digesteurs. Auparavant, les eaux usées étaient déversées directement dans l’oued à l’entrée de la ville. Mais déjà, l’infrastructure en place est quasiment saturée. « Il en faudrait une autre d’une taille presque équivalente », indique Yann Thépot, responsable de la station pour le groupe Suez Environnement, gestionnaire de la première tranche du projet. Suez est par ailleurs en phase de négociation finale pour la construction de la station d’épuration de Casablanca, qui devrait voir le jour d’ici deux ans. En attendant, les eaux traitées biologiquement finissent en mer, à 5 kilomètres au large des côtes.

Pour les déchets, l’objectif est d’atteindre un taux de collecte de 90% contre 70% actuellement, et de développer la filière de « tri-recyclage-valorisation », à l’instar d’Oum Azza opérationnelle depuis 2007. Dimensionnée pour recevoir 700 000 tonnes de déchets par an, issus des communes de Rabat, Salé, Témara et des environs, Oum Azza, gérée par Segedema, filiale du groupe français Pizzorno Environnement, se veut la plus grande décharge contrôlée du continent. Et la seule au Maroc à valoriser les déchets.  « Contrairement à ce qui a été rapporté parfois, il n’y a pas pollution des nappes phréatiques (…) Nous sommes contrôlés strictement tous les quinze jours, les résultats d’analyse sont publiés », indique Gérard Prenant, directeur général de la Segedema. En projet : la récupération du méthane issu de la fermentation des déchets pour produire du biogaz. Lequel serait ensuite brûlé pour produire de l’électricité, revendue à l’Office national d’électricité. La Segedema table sur 2 mégawatts d’électricité, soir 50 000 tonnes équivalent CO² évités par an. Ailleurs, les décharges sauvages pullulent. Il en existerait environ 300. Un problème urgent à régler », selon le responsable de la Segedema.

Autre volet, celui des énergies renouvelables. « Le Maroc a pris le taureau par les cornes » assure Saïd Mouline. Nous émettons dix fois moins de CO² qu’en Europe – de l’ordre de 2,3 tonnes de CO² par an et par habitant –malgré un schéma énergétique ambitieux.  Il y a une prise de conscience forte, car nous subissons les changements climatiques ».Entre le solaire, l’éolien et l’hydraulique, le royaume espère produire 42% de son électricité à partir des énergies renouvelables à l’horizon 2020. En novembre, les autorités marocaines ont créé la surprise en annonçant la construction d’un méga projet solaire de plus de 6 milliards d’euros. Achevé dans dix ans, il devrait permettre d’économiser 1 million de tonne équivalent pétrole et d’éviter l’émission de 3,7 millions de tonnes de CO² chaque année. L’éolien, enfin, devrait fournir 1200 mégawatts en 2012. Aujourd’hui, le royaume compte trois fermes éoliennes dans la région du Détroit et à Essaouira. Un projet est en cours d’achèvement à Tarfaya, dans le Sud. Des sociétés industrielles comme Lafarge, l’Office chérifien des phosphates ou le groupe Ynna Holding, sont de plus en plus intéressées par l’éolien.

Dans les esprits, les choses changent…doucement. Aïcha Regragui, qui a lancé en 2008 à Agdal, dans le quartier d’affaires de Rabat, le premier pressing écologique du Maroc, admet que les Marocains, sauf dans la bourgeoisie, ne sont pour l’heure guère sensibilisés à la cause environnementale. « La majorité de la population marocaine, défavorisée, a d’autres problèmes que l’environnement », convient Brahim Abouelabbes, le président de l’AMEPN. « Il y a un travail énorme d’éducation et de vulgarisation à fournir », estime de son côté Moundir Zniber, le président de l’association Pour un Maroc vert, par ailleurs organisateur du festival africain sur l’écologie et le développement durable.

Profiter du marché carbone

Bien qu’il ne soit pas contraint, aux termes du protocole de Kyoto, à une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, le Maroc entend tirer profit des opportunités du marché carbone. Second pays sur le continent, après l’Afrique du Sud, pour les projets dits MDP (mécanismes de développement propre), le royaume pourrait réduire ses émissions de 15 millions de tonnes par an vers 2012 et atteindre 53 millions de tonnes en 2030.

Aujourd’hui, le Maroc compte une cinquantaine de projets MDP identifiés, correspondant à une réduction des émissions de l’ordre de 7,2 millions de tonnes par an. Cinq projets ont déjà été approuvés par les Nations unies : le parc éolien de 10 mégawatts mis en place à Tétouan par la cimenterie Lafarge Maroc, celui de 60 mégawat à Essaouira,  l’installation de 100 000 kits photovoltaïques en milieu rural pour le compte de l’Office national d’électricité, la décharge de Salé qui récupère le biogaz et enfin de l’utilisation de la bagasse (résidu fibreux de la canne à sucre) par une sucrerie de la Cosumar.

« Six autres projets sont à un stade très avancé », confie Ali Agoumi, expert en changement climatique, professeur à l’école Hassania des Travaux Publics de Casablanca et représentant au Maroc de la société de crédits carbone EcoSecurities. Parmi eux : les stations d’épuration des eaux usées d’Agadir et de Fès pour lesquelles le méthane sera torché et un projet de récupération de la vapeur sur le site de Jorf Lasfar par l’Office chérifien des phosphates (OCP).

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