Patronat marocain: le style Horani
African Business
A la tête de la CGEM, le patronat marocain, depuis un an, Mohamed Horani veut faire de l’innovation sa marque de fabrique. Jusque dans ses rapports avec les partenaires sociaux. Mohamed Horani est également président de la société de monétique HPS.
C’est peu de le dire. La présidence de Mohamed Horani à la tête de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), depuis un an, tranche avec son prédécesseur. Consensuel, discret, modeste, Mohamed Horani, 57 ans, président fondateur de la société de monétique HPS (Hightech Payment Systems), n’a pas le charisme et l’aisance médiatique de Moulay Hafid Elalamy, patron des patrons de 2006 à 2009.
Néanmoins, le président de la CGEM avance ses pions sûrement et renouvelle à sa façon le dialogue entre les entreprises et les partenaires sociaux. Depuis son arrivée, le contact avec les syndicats est plus fréquent et direct. « Jusqu’à mon arrivée le dialogue social était tripartite. Il est vrai que certains sujets doivent être traités à la fois par le patronat, les syndicats et le gouvernement. Mais n’oublions pas que l’Etat a un double rôle. Il est employeur et régulateur, à la fois juge et partie. Aussi, sur certains sujets, nous avons innové et décidé de travailler de manière bilatérale, avec les syndicats seulement. Par ailleurs, le dialogue social au Maroc ne peut pas être concentré sur deux réunions par an seulement. C’est un travail quotidien », explique Mohamed Horani. Une approche qui semble donner satisfaction à la CGEM. Le patronat est ainsi parvenu à mettre sur la table la question de la réglementation du droit de grève au Maroc, longtemps un sujet tabou pour les organisations syndicales. « La majorité des syndicats a accepté de discuter ce projet. Ce qui est un grand pas, assure Mohamed Horani. La grève est un droit constitutionnel, accepté de tous, mais son exercice doit être encadré par une loi pour qu’il n’y ait pas d’effets négatifs sur l’économie. Nous ne voulons pas que ce droit de grève soit utilisé de manière sauvage », explique t-il.
Avec le gouvernement, la CGEM se positionne sur la prochaine loi de finances 2011 et entend peser plus globalement sur les futures orientations économiques du royaume. Au-delà des revendications classiques portant sur la fiscalité. Une légitimité qui découle de l’appui historique de la CGEM aux stratégies sectorielles initiées par l’Etat marocain. Que ce soit pour le plan Azur, stratégie nationale pour le tourisme, le plan Emergence pour l’industrie, les plans pour le développement de l’agriculture, de la pêche ou de la logistique : le patronat travaille avec le gouvernement. Des conventions ont été signées, donnant des objectifs chiffrés, l’expression des besoins termes d’investissement et de ressources humaines. Le patron de la CGEM revendique par ailleurs « un droit d’ingérence dans l’éducation », afin de préparer au mieux les compétences dont auront besoin demain les entreprises marocaines.
Oser et innover
Pour ce matheux, féru de technologies, ingénieur diplômé de l’Institut national de statistiques et d’économie appliquée (INSEA) à Rabat, les entreprises marocaines, de leur côté, doivent « oser et innover ». Un leitmotiv dont il a fait le titre de son blog. Son pari est d’insérer le Maroc dans la société d’informations, dans l’économie mondiale du savoir. Un pari sans doute à la hauteur du chemin parcouru par l’homme fort de la CGEM.
Né dans une famille pauvre du quartier populaire de Derb Fokkara à Casablanca, Mohamed Horani est un pur produit de l’école publique marocaine. Il a démarré au ministère du Plan statisticien, mais passe rapidement au secteur privé. Il passe deux ans chez Bull, touche à tout, fait de la programmation, de la conception de systèmes, de la gestion. Alors que la monétique en est à ses débuts, il devient le directeur de S2M, à l’époque dans le giron de Sligos (qui deviendra la SSII Atos), poste qu’il occupe pendant onze ans. En 1995, il cofonde sa propre société, Hightech Payment Systems, aujourd’hui numéro un du secteur. HPS, qui compte 250 personnes, réalise 90% de son chiffre d’affaires à l’international. Elle offre ses solutions dans 60 pays. La société vient d’ailleurs de racheter ACP Qualife, entreprise française basée à Aix, afin de disposer d’un vivier de compétences à travers la France.
« Le pari que nous avons pris, c’est d’abord une vision, nous voulions être parmi les dix premiers mondiaux. Le grand point fort de HPS c’est la recherche et développement. L’année dernière, nous avons dépensé 12% de notre chiffre d’affaires en recherche. Et aujourd’hui si nous sommes parmi les premiers, c’est grâce à cela », souligne Mohamed Horani.
Lui, qui maitrise la majorité des dossiers y compris technique, garde l’âme d’un consultant, à l’affut des évolutions. « Je délègue beaucoup, je responsabilise. Ce qui est tout à fait nécessaire lorsque l’on connait une forte croissance », indique le dirigeant. Pas non plus le genre à s’énerver. « Je ne suis pas un patron autoritaire. Mon modèle est basé sur la confiance, jusqu’à preuve du contraire. Je ne sais pas travailler autrement. J’essaie de me mettre à la place de mes interlocuteurs, collaborateurs, clients, actionnaires, partenaires », explique Mohamed Horani. D’autant plus aujourd’hui, alors que la CGEM « lui prend près de 120% de son temps ». Un agenda chargé qui éloigne des stades l’amateur de football et fervent supporter des FAR et du Raja.
Agenda
Car les prochains mois ne s’annoncent pas de tout repos. Sur la table, la question des retraites, la révision du code du travail, la réglementation du droit de grève, l’indemnité de perte d’emploi. « Notre préoccupation est de mettre en place un système pérenne qui ne touche pas trop à la compétitivité des entreprises », souligne Mohamed Horani. Un exercice qui ressemble parfois à un numéro d’équilibriste. Car si la CGEM représente les principales entreprises structurées du royaume, une grande partie de l’économie marocaine navigue encore dans les eaux troubles de l’informel.
Le dernier baromètre trimestriel, élaboré par l’Ifop, montre ainsi qu’environ 59% des chefs d’entreprises au Maroc sont inquiets. Il y a la crise bien sûr, mais bien avant cela, c’est la concurrence déloyale, l’informel, qui pose problème. « Nous travaillons avec le gouvernement pour trouver des solutions. La CGEM recommande de mettre en place un système accessible à ces entreprises. Il faut continuer à abaisser la fiscalité, mais il faudrait surtout mettre en place des forfaits incitatifs pour certaines catégories d’entreprises. Cela peut passer par un accompagnement sur le plan de la formation, de l’accès aux financements et à l’export », plaide Mohamed Horani.
Sur l’Europe, avec l’obtention par le Maroc du Statut avancé, le patron des patrons souhaite faire entendre sa voix. Lors du premier sommet Maroc-Union européenne à Grenade en mars dernier, la CGEM a demandé son adhésion à la Business Europe, la fédération des patronats européens. Le Statut avancé ? Une chance pour les entreprises marocaines et aussi des exigences, dont est bien conscient le dirigeant. « Il y a aujourd’hui une certaine fragilité du côté des PME, qui constituent près de 95% du tissu économique. Ces entreprises souffrent d’un certain nombre d’insuffisances structurelles, de sous-capitalisation, d’insuffisance de compétences de management, Il y a un vrai problème de taille critique. Elles souffrent d’une absence ou d’une insuffisance d’innovation de recherche et développement, d’une grande insuffisance au niveau de l’internationalisation », diagnostique Mohamed Horani. « Nous devons tirer ces PME ».