Au Maroc, des pensionnats pour scolariser les jeunes filles
La Croix
La Dar Taliba d’Ouled Tayeb (photo Christelle Marot)
Le développement des pensionnats gratuits pour les jeunes Marocaines permet de lutter contre l’abandon scolaire. Une démarche soutenue par un programme national de lutte contre la pauvreté.
« Je suis contente que ma fille ne reste pas ignorante comme moi », lâche dans un sourire timide Hadda Attou, repoussant une mèche de cheveux sous son fichu marron. A l’autre bout du canapé fleuri, seule touche de couleur dans la modeste maisonnette, Meryem, 14 ans, blouse blanche impeccable et visage grave, attend de repartir pour la Dar Taliba d’Ouled Tayeb, un pensionnat de jeunes filles, en périphérie de Fès. Pour Meryem, la Dar Taliba qui l’héberge et la nourrit gratuitement durant la semaine est une planche de salut. Une chance unique de poursuivre sa scolarité au collège, à contrario de ses trois ainés. Sur les épaules de la jeune fille, parmi les premières de sa classe, la pression est forte. « Quand je ne suis pas en cours, je révise », explique t-elle inquiète. A ses côtés, son frère Abdellah, 23 ans, aujourd’hui au chômage, confesse avoir abandonné l’école peu après le primaire. « Trop loin, trop compliqué », dit t-il doucement. La famille se débrouille avec les maigres revenus du père, ouvrier agricole. Dans le jardin, une étable brinquebalante abrite deux vaches. Le soleil lance ses rayons dorés entre les branches des oliviers. Sur le chemin terreux, les enfants du village se chamaillent. Près de 80 familles vivent là dans une grande pauvreté. Ici, pas de transports publics, pas de taxis collectifs. Malgré Fès, l’impériale, à une vingtaine de kilomètres, et l’autoroute de l’Est en construction, le douar reste isolé.
Sur le mur, face à la porte d’entrée de la Dar Taliba d’Ouled Tayeb, un immense portrait du roi Mohamed VI est accroché. Dans la salle d’études, la surveillante générale veille au grain. Quelques livres de géographie sont ouverts. Des ordinateurs sont allumés. Une quinzaine de filles attendent le bus scolaire qui doit les ramener en classe à 15 heures. Les emplois du temps et les déplacements de chaque pensionnaire sont soigneusement notés. La rigueur et la discipline sont de mise. Les résultats scolaires sont suivis de près. Spartiate, le dortoir des filles à l’étage est propre, impeccablement rangé. Pas de photos ou d’affiches sur les murs et les casiers cadenassés. Au loin, par la fenêtre, les contours vaporeux du Moyen Atlas se détachent dans le ciel.
Située à 15 km du centre de Fès et 3 km du collège, la Dar Taliba d’Ouled Tayeb accueille 42 filles, de 12 à 18 ans, issues d’une vingtaine de douars très pauvres des environs. Soutenu par l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), un vaste programme de lutte contre la pauvreté lancé par les autorités marocaines il y a cinq ans, le pensionnat a ouvert ses portes en 2007. Son coût : 1,4 million de dirhams (125 000 €).
A la demande des populations rurales, les Dar Taliba fleurissent dans le pays. En proposant d’héberger et de nourrir gratuitement les filles, ces pensionnats situés à proximité des collèges et des lycées sont un moyen efficace de lutter contre l’abandon scolaire. Ils sont aussi une solution pour les familles qui n’imaginent pas une seconde laisser une fille effectuer une partie du trajet à pied ou à vélo pour se rendre à l’école. Des questions de sécurité, de réputation, de convenance, qui ne se posent pas pour les garçons. Dans la préfecture de Fès, quatre Dar Taliba et une maison de l’étudiante, ont été construits, financés par l’INDH, les collectivités locales, régionales et les associations.
Fonctionnaire à un an de la retraite, Bouchta El Farci, costume marron et lunettes cerclées, est le président de l’association de bienfaisance d’Ouled Tayeb, qui gère le pensionnat : « Il y a quand même un gros travail pour convaincre les familles. Dernièrement, un père est venu, il voulait retirer sa fille de 13 ans. On ne sait pas trop pourquoi. Il a fallu lui expliquer longuement que c’était important pour elle de continuer à aller à l’école ».
Pour Oumaima, adolescente de 15 ans et bonne élève, c’est le directeur de son école primaire qui a achevé de convaincre ses parents. Une petite révolution dans la famille.
Des yeux rieurs encadrés par un voile blanc, Asmae, 14 ans, l’ainée de cinq enfants, est en troisième année de collège. Sa famille vit à 5 km grâce au revenu du père, un vendeur de poulets ambulant. Sa mère attend un sixième enfant. « On a une toute petite maison. Il n’y a pas beaucoup d’espace pour travailler. Ici, les conditions sont meilleures et puis on travaille en groupe, on s’aide entre filles », explique Asmae, qui rêve de devenir médecin.
Dupliqué sur tout le territoire, le modèle des Dar Taliba reste pourtant fragile. A Ouled Tayeb, l’hébergement pour chaque fille revient à 20 dirhams par jour. « On tire les coûts vers le bas, c’est presque deux fois moins cher qu’ailleurs, mais malgré tout j’ai du mal à boucler. Il faut acheter la nourriture, payer les salaires, l’essence. Pour finir l’année, il me reste 20 000 dirhams seulement. Je ne sais pas comment faire. Je suis allé voir le pacha, le caïd, les services de l’entraide nationale », confie Bouchta El Farci, le président de l’association. « L’INDH aide à la construction des bâtiments, mais ce sont les associations qui doivent trouver les ressources pour gérer les Dar Taliba. Et pour beaucoup d’entre elles, trouver des ressources pérennes n’est pas évident », confirme Bachir Lafkih, un responsable du Département des affaires sociales de la préfecture de Fès.
L’INDH, programme de lutte contre la pauvreté
Fer de lance de la lutte contre la pauvreté au Maroc, l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) a été saluée par les Nations unies et les bailleurs de fonds comme un moyen efficace d’atteindre les Objectifs du Millénaire. Ses programmes touchent l’éducation, les activités génératrices de revenus, la santé, les centres d’accueil pour femmes et personnes âgées ou encore le relogement des bidonvillois.
Impliquant société civile, collectivités locales, l’Etat marocain et la coopération internationale, l’INDH s’appuie sur une approche participative et décentralisée.
Selon les autorités marocaines, grâce à l’INDH, le taux de pauvreté au niveau national est tombé de 14 à 9% entre 2006 et 2009. Dans les communes rurales cibles (taux de pauvreté initial supérieur à 30%), il est passé de 36 à 21%. Depuis 2005, 22 000 projets ont été programmés pour 5 millions de bénéficiaires. Près de 13 milliards de dirhams ont été investis (1,15 milliard d’euros).