Craintes d’un durcissement sécuritaire, après l’attentat de Marrakech

La Croix

Sur la place Jamaâ el Fna, Nourredine, la trentaine, originaire de Marseille, traine avec ses copains. Venu pour la première fois en vacances au Maroc, il était dans un café proche de l’Argana, quand l’explosion a retenti. « C’est choquant. Ce genre de choses, on voit cela à la télévision, cela se passe en Irak, en Afghanistan, ça semble loin, explique t-il abasourdi. Quand il y a trop de monde, je ne me sens pas tranquille (…) Franchement, j’ai hâte de rentrer en France ».

Trois jours après le terrible attentat à Marrakech qui a fait 16 morts, dont 7 Français, ainsi que 25 blessés, la ville est en émoi, malgré le retour au calme apparent. Les touristes sont attablés aux terrasses des cafés et des restaurants. Dans la médina, c’est presque la même effervescence. Les habitants de Marrakech, professionnels du tourisme, hôteliers, commerçants ou simples employés, se veulent rassurants. « Pour Marrakech, c’est nouveau. Nous avons toujours été tolérants et hospitaliers avec les étrangers qui viennent comme touristes ou qui sont installés ici. Cela dépasse l’entendement », se désole Abdellatif, derrière son étal d’oranges.

Pour Ahmed Bennani, propriétaire de l’hôtel Hivernage, dans le quartier chic du Guéliz, « en ciblant Marrakech, on a voulu s’attaquer à l’économie du pays, qui connaît une croissance stable et des réformes depuis plusieurs années ». Près de la moitié de la population de Marrakech vit grâce au tourisme. Le Maroc a accueilli 9,4 millions de visiteurs en 2010 ; un secteur qui représente près de 10% du PIB et environ un tiers des entrées de devises.

« L’économie, ce n’est pas grave. On s’en remettra », lâche le patron de l’Hivernage. « Mais quand je pense aux familles des victimes, quand je pense aux blessés qui vont repartir handicapés de notre pays, alors qu’ils étaient simplement là pour les vacances, j’ai une boule dans l’estomac. Je ne dors plus ».

Alors que l’attentat n’a toujours pas été revendiqué, la piste d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) est évoquée. Les investigations préliminaires ont révélé que l’engin explosif, fabriqué à partir de nitrate d’aluminium et de deux explosifs TATP, avec des clous de fer, avait été déclenché à distance. « Tout le monde connaît la partie qui recourt à ce mode opératoire », a souligné Taieb Cherqaoui, ministre marocain de l’Intérieur. L’enquête se poursuit. L’interrogatoire de deux touristes néerlandais a permis d’établir le portrait-robot d’un homme qu’ils ont vu dans le café Argana, quelques minutes avant l’attentat et qui leur a paru suspect.

Samedi, le roi Mohammed VI s’est rendu aux chevets des victimes, ainsi que sur le lieu de l’attentat, place Jamaâ el Fna. Dans la foule venue se presser pour l’accueillir, des banderoles et des slogans : « Touche pas à mon pays ».

Tandis que le Maroc connaît depuis plusieurs semaines des manifestations pacifiques pour plus de liberté, de démocratie et de justice sociale, l’attentat de Marrakech fait craindre un tour de vis sécuritaire.

Quelques heures après l’explosion qui a soufflé le café Argana, Rachid Nini, directeur du quotidien arabophone Al-Massae, un journal populiste, mais aussi l’un des plus gros tirages du Maroc, a été mis en garde à vue. Après avoir mis en cause les services de sécurité marocains, il est poursuivi pour « atteinte à des corps constitués » et « atteintes à des personnalités publiques ».

« On a des inquiétudes. Dans notre société, il y a des forces conservatrices, au sein de l’appareil de l’Etat et dans la sphère économique. Ces forces ne veulent pas que les choses changent, explique Noureddine Belakbyer, secrétaire général du Comité de défense des droits humains à Marrakech et membre du Parti socialiste unifié (PSU). Après ce tragique attentat, on craint que certains groupes sécuritaires dans l’Etat fassent pression pour justifier un retour en arrière ». Dimanche 1er mai, fête du travail, seul le syndicat UMT (Union marocaine du travail) est sorti, avec à ses côtés une cinquantaine de jeunes Marrakchi du Mouvement du 20 février. « Le 16 mai 2003, ce n’est pas le 28 avril 2011. Le contexte n’est pas le même. Aujourd’hui, les Marocains sont de plus en plus conscients, ils sortent dans la rue, ils s’expriment. Ils refuseront un retour en arrière concernant les droits et les libertés publiques », estime de son côté, Hanaa Baidane, étudiante et membre du 20 février. « On demande une enquête transparente, qu’il n’y ait pas d’arrestations arbitraires et massives », ajoute la jeune femme. Bouleversés, les jeunes du 20 février le sont. Pour autant, ils entendent continuer à mettre la pression et prévoient de nouveaux rassemblements le 8 mai prochain.

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