Au Maroc, la renaissance berbère

La Croix

Avec la toute nouvelle Constitution, le Tamazight est devenue langue officielle. Une victoire pour une communauté longtemps dénigrée.

 « Quand on a su que le tamazight était désormais langue officielle au Maroc, ce fut une grande joie à la maison », raconte Samira Aït Said, dans un large sourire. Elle enseigne la langue berbère dans une école primaire à une dizaine de kilomètres de Casa- blanca. « Mes parents sont analphabètes. Quand ils sont arrivés il y a trente ans, parler leur langue dans la rue, au souk ou au hammam était très mal vu. Aujourd’hui, ils ont l’impression d’être enfin reconnus, qu’on défend leur histoire et leurs racines », explique la jeune femme.

La nouvelle Constitution marocaine, adoptée par référendum en juillet dernier, inscrit le tamazight comme langue officielle, aux côtés de l’arabe. Un acquis revendiqué depuis longtemps par les militants de la cause berbère. Ecrasés sous le protectorat français, complexés et discriminés par l’État marocain pendant de longues années, les Imazighen, « les hommes libres », premiers habitants du Maroc, retrouvent leur fierté. Même si le changement a débuté il y a dix ans avec l’avènement du roi Mohammed VI.

Dans la classe de Samira, une vingtaine d’enfants jettent des mots à la volée pour décrire en tamazight une poupée de chiffon. « Moi, ce qui me plaît c’est la graphie, glisse Anas, 8 ans. Et quand je vais au bled, dans le Sud, je comprends mieux les autres. Mais mes parents se demandent à quoi ça sert. » Dans un coin du tableau, des caractères rappellent la leçon du jour et la date : 2 961, selon le calendrier berbère. Ils sont écrits en tifinagh, alphabet de tradition millénaire, réintroduit au Maroc il y a huit ans, par l’Institut royal de la culture amazighe (Ircam), au terme d’une âpre bataille.

L’enseignement du berbère en primaire est devenu obligatoire, avec pour objectif sa généralisation en 2012. Mais aujourd’hui, seuls 15 % des écoliers sont concernés. Un échec. « On manque de professeurs. Il y a clairement des résistances au sein du ministère de l’éducation, mais aussi au sein des partis politiques », indique Ahmed Boukouss, recteur de l’Ircam à Rabat.

« Tous les Marocains ont une origine berbère, mais ils l’ignorent parfois. »

Pour les « puristes », l’arabe classique serait seul garant de la nation et de l’unicité de l’islam. Parmi eux, les islamistes, qui voient d’un mauvais œil toute référence à une civilisation antérieure à la venue du Prophète, d’essence païenne de surcroît. Craint et brocardé par les mouvements nationalistes et panarabes, l’administration marocaine et les médias au lendemain de l’indépendance, puis disqualifié par la politique d’arabisa- tion forcée, le tamazight peine à retrouver sa place.

Linguiste, Fatima Sadiqi estime à 40 % la part « d’amazighophones » – 28 %, selon les chiffres du dernier recensement réalisé en 2004. À ses yeux, l’usage du berbère est en perte de vitesse, en raison de l’urbanisation du pays et du problème de l’enseignement. « On dit chez nous que ‘‘le tamazight ne donne pas de pain’.’ Pour éviter l’échec scolaire de leurs enfants, les berbérophones ne leur parlent plus la langue maternelle », regrette Rachid Raha, rédacteur en chef du Monde amazigh, l’une des rares publications consacrées au monde berbère, par ailleurs vice-président du Congrès mondial amazigh.

« L’amazighité est une vieille civilisation qui revendique sa place. Tous les Marocains ont une origine berbère, mais ils l’ignorent parfois. Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour encourager la langue, mais aussi réécrire l’histoire », estime Driss Khrouz, directeur général de la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc. Une histoire et une culture principalement ouverte sur le nord de la Méditerranée, qui fait la part belle à la diversité. « L’amazighité, ce n’est rien d’autre que promouvoir un État démocratique. Et l’égalité entre régions, langues, hommes et femmes, notamment pour le partage de l’héritage », souligne Rachid Raha. Lors de l’élaboration de la Constitution, les représentants amazighs ont voulu abandonner le caractère « musulman » de l’État. Mais à la dernière minute, les autorités ont cédé à la pression des islamistes.

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