Soleil à vendre

L’Express

photo solaire

C’est une terre aride et rocailleuse, écrasée par le soleil. Située à une dizaine de kilomètres au nord-est de Ouarzazate, aux portes du désert, la région bénéficie de l’un des plus fort taux d’ensoleillement au monde. Et c’est ici, sur près de 3 000 hectares – soit la superficie des villes de Rabat et de Salé réunies – que  sera construite la plus grande centrale thermo-solaire « concentrée » (CSP) au monde. Ce projet pilote, d’une capacité de 160 mégawatts, devrait voir le jour en 2014. Il constitue la première phase d’un vaste programme de développement de l’énergie solaire au Maroc. Objectif : doter le royaume d’une capacité de 2000 mégawatts à l’horizon 2020, soit 14% de la production énergétique du pays. Annoncé par le roi Mohammed VI fin 2009, ce programme nécessite près de 6,2 milliards d’euros d’investissements et pourrait permettre une réduction de 3,7 millions de tonnes des émissions de gaz carbonique. Pour accueillir ces centrales gigantesques, cinq sites ont été retenus : Ouarzazate (500 MW), Aïn Beni Mathar (400 MW) dans le nord-est, Sebkhat Tah (500 MW au total dont une première phase de 160 mégawatts), Foum Al Oued (500 MW) et Boujdour (100 MW) dans le sud. Depuis dix ans, la consommation d’électricité au Maroc augmente en moyenne de 6,5 à 7% par an. Un défi énorme : il faudra doubler les capacités de production électrique d’ici 2020, les tripler d’ici 2030. « Le plan solaire permettra de répondre à la demande des ménages et des entreprises, tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Il nous libérera aussi de notre dépendance, aujourd’hui quasi exclusive, à l’égard des énergies fossiles, dont la facture ne cesse de s’alourdir », explique Obaïd Amrane, membre du directoire de l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (Masen), chargée de mettre en œuvre l’ambitieux programme. Le bouquet énergétique du royaume est aujourd’hui dominé par le pétrole (61% de la demande d’énergie primaire) et le charbon (28%), ce qui fait de lui un pays à forte émission de CO2.

Pour être crédible et attirer les grands opérateurs internationaux, le royaume a tablé d’entrée sur un projet à grande échelle. Et sur les incontestables atouts dont il dispose : un rayonnement solaire de 25% à 30% plus fort que celui de l’Europe, et de vastes étendues dont la valorisation économique est quasi nulle. «Nous ne voulons pas seulement produire de l’électricité solaire. Nous entendons aussi créer une filière industrielle, compétitive à l’échelle régionale », affirme le responsable de la Masen. A proximité de la centrale de Ouarzazate, 300 hectares seront consacrés à la recherche et au développement. Des prototypes expérimentaux seront testés sur le terrain. La première centrale devrait permettre la création de 2 500 emplois pendant la construction, puis 500 emplois durant la phase d’exploitation.

Le pari marocain est audacieux. Et risqué. Le coût total de l’investissement dans la ferme solaire de Ouarzazate est estimé à environ 1 milliard de dollars. La Masen n’en a pas moins réussi à convaincre les principaux bailleurs de fonds d’accompagner le financement de la première phase du projet. La Banque mondiale (200 millions de dollars), la Banque africaine de développement (200 millions d’euros), l’Agence française de développement (un prêt de 103 millions d’euros et une subvention de 300 000 euros) et son équivalent allemand, la KfW (100 millions d’euros), la Banque européenne pour l’investissement (100 millions d’euros), ou encore le Fonds pour les technologies propres (197 millions de dollars), dont c’est la première grosse opération, ont tous promis leur concours. « Les autorités ont bien mené ce dossier. Alors que rien n’allait de soi, elles ont su faire preuve à la fois d’une forte intuition et d’un grand volontarisme » souligne Joël Daligault, directeur du bureau de l’Agence française de développement  à Rabat.

Les risques ? Ils sont d’abord techniques. La filière du solaire thermodynamique est récente. Pour la première phase, à Ouarzazate, le choix s’est porté sur le solaire thermique à concentration qui est aujourd’hui la technologie la plus éprouvée. Celle-ci consiste à utiliser des miroirs pour concentrer la lumière du soleil et créer suffisamment de chaleur pour générer de la vapeur. Cette vapeur sert ensuite à actionner des turbines et des alternateurs qui produisent de l’électricité. Des réservoirs de chaleur (réservoirs de sels fondus) peuvent être utilisés pour stocker une partie de la chaleur afin d’actionner les turbines lors de pics de consommation  Ce qui, contrairement au photovoltaïque, permet de fournir de l’électricité sans interruption. La durée de vie d’une centrale de ce type est estimée à 25 ans.

Outre le risque technologique, les risques commerciaux ne sont pas négligeables. Produire de l’électricité à partir du soleil coûte encore cher. « Aujourd’hui, tout le monde regarde ce qui se passe à Ouarzazate, assure Joël Daligault. En proposant de se doter d’un coup d’une capacité de 500 MW, le Maroc est certain d’attirer les principaux opérateurs mondiaux. Ils feront des concessions sur les prix pour être retenus parce qu’en participant à ce programme ils savent qu’ils auront, en terme de référence, une longueur d’avance ». La production de masse des composants solaires et l’apprentissage industriel qui en résulte devrait, à terme, diminuer significativement les coûts et améliorer la compétitivité. « Le solaire, c’est un pari fait par le Maroc, qui pense pouvoir acquérir un leadership sur le marché, aussi bien dans la maîtrise de la technologie que comme plaque tournante entre l’Europe et l’Afrique du nord, souligne de son coté Silvia Pariente-David, spécialiste énergie pour la région Moyen Orient et Afrique du Nord, à la Banque mondiale. Et en ce moment, une course réunit de nombreux pays qui aspirent tous à être dans le peloton de tête » afin d’acquérir une position de leader dans une industrie d’avenir.

En attendant d’atteindre la parité avec les énergies conventionnelles, l’Etat marocain devra subventionner la différence entre le coût de l’énergie solaire produite à Ouarzazate et le prix de l’électricité acheté par l’Office national d’électricité. « Nous espérons arriver à la parité en 2015-2016. L’objectif est tout à fait réalisable. C’est le chemin à prendre pour y arriver qui est inconnu », explique confiant Obaïd Amrane. En attendant, le surcoût risque de peser sur les finances de l’Etat, déjà mises à mal par un environnement économique morose et la multiplication des revendications sociales. D’où l’intérêt d’exporter l’électricité solaire au plus vite vers l’Europe, à un prix bien supérieur au tarif consenti à l’Office national. La directive européenne énergie climat autorise les importations d’électricité verte. Encore faut-il que cette directive soit transposée dans les droits nationaux, puis que des accords, bilatéraux ou multilatéraux, soient mis en place. L’Union européenne a pour objectif de réduire de 80 à 95% ses émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990. Un but qu’elle atteindra plus facilement si elle recourt aux énergies renouvelables des pays voisins, notamment du sud de la Méditerranée.

Le plan solaire marocain offre d’ailleurs d’importantes synergies avec d’autres initiatives régionales visant à développer les énergies renouvelables dans le bassin méditerranéen. Toutes visent à créer un marché méditerranéen de l’électricité connecté à l’Europe. « Si l’Europe s’est construite autour de la production de charbon et d’acier, pourquoi ne pas imaginer que l’espace économique méditerranéen se créée autour d’un plan solaire régional ?» se prend à rêver Obaïd Amrane.

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