Le Maroc, nouvel eldorado de la colocalisation?
African Business
© C. MAROT
La destination Maroc figure désormais sur la carte des grands groupes mondiaux pour la sous-traitance industrielle, notamment automobile, aéronautique et électronique.
Installée sur la zone franche de Tanger (TFZ), l’usine de découpage emboutissage SNOP, filiale du groupe français FSD, a de quoi voir venir : les carnets de commande sont bien remplis. L’usine vient de passer au 3 X 8 et doit encore recruter 50 personnes d’ici la fin de l’année, pour atteindre un effectif total de 300 personnes (dont 30% de femmes). Face à l’usine qui s’étend sur 15 000 m2, 20 000 m2 de terrain sont disponibles pour une extension éventuelle. Le site marocain de SNOP, démarré en juin 2011, est l’un des 26 sites mondiaux du groupe français. Coût de l’investissement : 30 millions d’euros. Au Maroc, 90% de l’activité de SNOP est dédiée à l’usine Renault Melloussa, à une trentaine de kilomètres. « La raison d’être de Snop à Tanger ce n’est pas le coût de la main d’œuvre, assure Tajeddine Bennis, directeur de l’usine. Dans notre métier, on s’installe à côté du client. On est là pour Renault. Sans cela, on n’aurait pas eu le marché ». SNOP fabrique des rails et mécanismes pour les séries Lodgy et Docker. Depuis le début de l’année 2013, l’emboutisseur travaille également pour le site Renault de Valladolid en Espagne. « Nous allons également livrer des pièces pour les véhicules Logan au Brésil, en Colombie, en Argentine et en Inde », indique Tajeddine Bennis.
A quelques encablures, l’équipementier japonais Denso spécialisé dans les systèmes thermiques (climatiseurs, radiateurs) livre pour Renault Melloussa et Somaca, mais aussi General Motors, Toyota, et PSA. Opérationnel depuis 2011, le site a coûté 10 millions d’euros. Denso Maroc produit 170 000 pièces par an et devrait atteindre 400 000 pièces à pleine capacité. « C’est Renault qui nous a demandé de venir (…) Mais pour arriver à pleine capacité, il nous faut aller chercher d’autres clients », indique Giancarlo Spelta, directeur du site. A fin mars 2013, Denso Maroc, qui emploie 70 personnes, prévoit de réaliser un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros. « Notre objectif, c’est de trouver au Maroc des fournisseurs locaux, pour une question de coût et aussi de temps de livraison », ajoute le responsable italien. Denso a notamment besoin de fils d’acier, de tubes, de résine plastique.
Chez Sumitomo, fabricant de câbles et de harnais pour le constructeur automobile Volkswagen, la décision de s’implanter au Maroc, il y a dix ans, est liée aux avantages de la zone franche TFZ, à la logistique facilitant l’export en Europe, au coût de la main d’œuvre et à la stabilité politique. Sur tout le territoire, pour attirer les investisseurs étrangers, le Maroc développe en effet zones franches et plateformes industrielles intégrées. A TFZ, les entreprises sont ainsi exemptées de droits de douane, de TVA et ne paient pas d’impôts sur les sociétés pendant cinq ans. Le taux d’imposition est ensuite fixé à 8,75% jusqu’à la 25ème année et 17,5% à partir de la 26ème année. Au Maroc, Sumitomo emploie près de 16 000 personnes entre ses sites de Tanger, Casablanca et Kenitra.
Quatre ans après le lancement du Pacte national pour l’émergence industrielle (PNEI), la destination Maroc figure désormais sur la carte des grands groupes industriels mondiaux. Avec un argumentaire bien rôdé côté marocain : la co-localisation, concept vertueux, contrairement à la délocalisation, qui doit permettre aux pays partenaires, la France en tête, de se maintenir dans la compétitivité mondiale et de continuer à gagner des marchés. Concept aujourd’hui défendu devant l’opinion publique par les responsables politiques français, pour qui le Maroc pourrait être à l’Europe, ce que le Mexique est aux Etats-Unis. Pour le ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, Abdelkader Amara : « La mondialisation a entrainé un éclatement des chaines de valeurs. Les entreprises ont besoin de relais de croissance (…) L’implantation de l’usine Renault à Tanger a donné de la visibilité à notre base industrielle ». L’automobile, mais aussi l’aéronautique ou encore l’électronique.
Depuis quelques années, l’aéronautique connaît une croissance de 15% par an. Le secteur emploie aujourd’hui 8 500 personnes, notamment sur l’aéropôle de Nouaceur à Casablanca, où une centaine d’entreprises se sont installées. Dernier arrivé en date : le canadien Bombardier. Dans le sillage de ces grands groupes aéronautiques (Safran, EADS, Matis ou encore Lisi Aerospace), le français Ratier Figeac (RFM) a démarré, il y a dix mois, l’assemblage d’équipements de cockpits et de cabine sur un site de 4 300 m2 au cœur de l’aéropôle de Nouaceur. Un investissement de 9 millions d’euros. Les équipements (pylône de commande, pédalier pilote, amortisseurs de portes notamment) sont destinés à Airbus, Dassault et Bombardier. Et l’ensemble de la production de ces équipements devrait rapidement être transféré à Casablanca pour ne garder en France que les systèmes sophistiqués et la partie recherche et études. Pour la direction de Ratier Figeac, s’implanter au Maroc était devenue incontournable. « Aujourd’hui, notre projet, c’est pas de la délocalisation : les emplois côté français sont maintenus voire sont en augmentation. La logique est claire, c’est de rester compétitif sur le marché. Venir au Maroc, nous permet de maintenir nos coûts de production, de continuer à gagner des marchés auprès de nos clients, dans un esprit de co-localisation. L’idée est de continuer à développer et concevoir les produits sur les sites historiques en France et les fabriquer dans un atelier autonome de production, ici Maroc», explique Christophe Delqué, directeur Ratier-Figeac à Casablanca. Ici, un ouvrier qualifié démarre autour de 250 euros net par mois et travaille 44 heures hebdomadaire. Implanté sur l’aéropôle, l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA), financé en partie par l’Agence française de développement (AFD), a formé la plupart des opérateurs de RFM. Des opérateurs de niveau bac à bac plus deux. L’effectif de RFM devrait atteindre 150 salariés à l’horizon 2015.
Au Maroc, RFM souhaite développer la sous-traitance pour couvrir ses besoins en pièces et procédés, principalement l’usinage et le traitement de surface. Une politique qui a de quoi ravir les autorités marocaines, soucieuses justement de développer l’intégration locale. « Nous accordons un intérêt particulier aux investissements créateurs de valeur, créateurs d’emplois durables, générateurs de savoir faire, de transfert de technologies et d’intégration industrielle. Notamment dans les secteurs prioritaires comme l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, l’offshoring, les biotechnologies, l’agro-industrie, l’industrie pharmaceutique et les énergies renouvelables », souligne Ahmed Fassi Fihri, directeur des investissements à l’Agence marocaine de développement des investissements (AMDI).
Concernant les marchés publics, qui se chiffrent à 150-180 milliards de dirhams (environ 16 milliards d’euros), le Maroc souhaite instaurer des clauses pour imposer un taux de compensation économique. Le pays est en effet engagé dans de vastes chantiers pour développer le transport (liaisons ferroviaires, tramway) et les énergies renouvelables (parcs éoliens, centrales solaires). Dans la filière solaire, qui en est à ses prémisses au Maroc, le taux d’intégration a été fixé à 30% pour les soumissionnaires de la méga centrale de Ouarzazate. Après une première tranche remportée par le consortium mené par le groupe saoudien Acwa Power, un deuxième appel d’offres a été lancé début 2013 pour construire des tours solaires de 300 mégawatts. Un projet qui offre des opportunités dans le génie civil, la métallurgie et le câblage électrique.