L’enseignement public au Maroc, grand corps malade

Le Magazine de l’Afrique

école

L’école marocaine est sous perfusion. Un mal qui fragilise la cohésion sociale et entrave l’avenir car le système éducatif est déconnecté des réalités économiques du pays. Jusqu’à présent, les plans de réforme successifs n’ont pas donné de résultats probants.

Le constat sévère porté sur la politique d’éducation du gouvernement islamiste par le roi Mohammed VI, lors de son discours à la Nation le 20 août dernier, n’a pas fini d’agiter les milieux politiques marocains. Pour le roi, le gouvernement PJD (Parti de la Justice et du Développement) dirigé par Abdelilah Benkirane « n’a pas entrepris les efforts nécessaires pour consolider les acquis » du Plan d’urgence, à contrario « du gouvernement précédent »  d’Abbas El Fassi (2007-2011). « Pire encore, sans avoir impliqué ou consulté les acteurs concernés, on a remis en cause des composantes essentielles de ce plan » comme la rénovation des cursus pédagogiques, le préscolaire ou les lycées d’excellence. « Il est navrant de voir que la situation actuelle de l’enseignement s’est dégradée encore davantage, par rapport à ce qu’elle était il y a plus d’une vingtaine d’années », a déploré le monarque. Les réactions n’ont pas manqué : applaudissements des uns pour qui l’éducation retrouve sa place au centre des débats ; consternation et agacement des autres, notamment du côté des intellectuels et du PJD. Car si l’école marocaine est mal en point, cela ne date pas d’aujourd’hui et le gouvernement Benkirane ne saurait en être tenu pour seul responsable. Au Maroc, l’éducation est un sujet sensible et polémique à la hauteur des enjeux socio-économiques et politiques.

Ebranlée par la politique d’arabisation poursuivie dans les années 80 et méprisée par les élites, l’école publique marocaine est sous perfusion. Depuis 1999, les plans se succèdent : Charte nationale d’éducation et de formation 1999-2008, Programme d’urgence 2009-2012 pour la réforme de l’éducation, Plan d’action 2013-2016. Mais les résultats sont médiocres. « La dimension éducation constitue le principal facteur expliquant la stagnation du Maroc en matière de développement humain, telle que mesurée par l’IDH », relève le rapport 2012 du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Si le Maroc est quasiment parvenu à généraliser la scolarisation au primaire, au niveau de l’entrée au collège, c’est l’hémorragie. La durée moyenne de scolarisation est insuffisante. Dans le rural, le taux net de scolarisation au collège en 2012-13 chute à 25,9% pour les filles contre 97% au primaire et à 34% pour les garçons contre 96,4% au primaire.

« Sur l’éducation, que ce soit le rapport 2008 du Conseil supérieur de l’enseignement ou le Plan d’urgence, le diagnostic posé est bon. Le Plan d’urgence prévoyait les investissements nécessaires au niveau des infrastructures. Mais les résultats ne sont pas là !», s’alarme Ilham Lagrich, présidente du Comité de soutien à la scolarisation des filles rurales (CSSF). « Il y a aussi un problème énorme de déperdition au niveau du collège, ajoute t-elle. Dans certaines régions, l’habitat est tellement dispersé qu’on ne peut pas développer les moyens de transports scolaires. Il y a également un problème de formation et d’absentéisme des professeurs. A la campagne, des professeurs arabophones se retrouvent face à des enfants qui parlent amazigh, ils ne se comprennent pas ! Les professeurs sont mal payés, démotivés ». Pour Ilham Lagrich, il faudrait généraliser l’offre éducative dans les régions, construire davantage de collèges, de lycées, développer les internats et les maisons d’accueil (dar talib ou taliba), mettre l’accent sur la formation des instituteurs et des professeurs. Une entreprise qui nécessite d’énormes moyens que l’Etat marocain ne pourra pas assumer seul. D’autant que le Programme d’urgence 2009-2012 qui aura coûté au Maroc 35 milliard de dirhams (plus de 3 milliards d’euros) est un échec. Les académies ont réalisé 74 écoles primaires seulement sur les 225 prévues. Dans le secondaire, 109 collèges ont été construits alors que le Plan d’urgence en prévoyait 529 prévus. Idem côté lycées, 84 ont vu le jour sur 278. Au final, les classes sont restées surchargées avec une moyenne de 40 élèves. Seuls 17% des internats prévus ont été réalisés.

Dans ce contexte, comment faire confiance à l’école publique ? Surtout quand les élites s’empressent d’inscrire leurs progénitures dans les écoles françaises et américaines, quand la classe moyenne émergente se saigne pour envoyer ses enfants dans des établissements privés ? En termes d’équité, de qualité ou d’efficacité, le système éducatif marocain est défaillant. Dans l’école publique, il y a peu de place pour la raison et le débat contradictoire. On n’y apprend guère à penser. Dans le primaire et le secondaire, la langue d’apprentissage est l’arabe. Mais dans l’enseignement supérieur, dans les filières scientifiques notamment, c’est le français qui est employé. L’utilisation d’une langue dans le secondaire puis d’une autre dans le supérieur est perçue par nombre d’observateurs comme une hérésie pédagogique. Un système éducatif marocain déconnecté des réalités économiques et du marché de l’emploi local. Secteurs stratégiques pour le royaume, l’aéronautique, l’automobile, l’offshoring, jouant la carte de la mondialisation, doivent recruter à tour de bras des jeunes maitrisant le français et l’anglais.

A l’université, les problèmes sont particulièrement criants. « Il y a une explosion des effectifs ces dernières années au Maroc. C’est une chance, une aubaine que ces jeunes accèdent à l’enseignement supérieur. C’est fondamental pour un pays comme le notre, mais ce n’est pas simple à gérer. Quand on a 30% d’effectifs en plus chaque année, il faut qu’on puisse l’absorber. Ce n’est pas simple, en termes d’infrastructures, en termes d’encadrement pédagogique, d’encadrement administratif, explique Ouidad Tebbaa, doyenne de la Faculté de lettres et de sciences humaines de Marrakech. Et puis dans les facultés comme les nôtres, l’essentiel des étudiants est extrêmement démuni, ils sont dans des situations matérielles difficiles. Les enjeux vont au delà de la formation, ce sont des enjeux sociaux et politiques ». Pour ces jeunes Marocains issus des couches les plus pauvres, accéder à l’université est un rêve, leur seul espoir d’ascension sociale. Mais pour ces jeunes diplômés mal formés et inadaptés aux exigences du monde moderne du travail, les désillusions sont grandes et la réalité cruelle. Leurs diplômes ne valent pas grand chose aux yeux des chefs d’entreprises.

Dans le même temps, les universités privées, payantes, se multiplient. Des universités dotées de gros moyens, modernes, bilingues. L’offre éducative gagne en qualité mais renforce aussi le sentiment d’un système à deux vitesses.

C.M.

Alphabétisme et scolarisation

Taux d’alphabétisme
des adultes
(%, plus de 15 ans)
2010
Taux net de scolarisation au primaire (%)
2010
Taux brut de scolarisation au secondaire (%)
  2005         2010
Dépenses publiques en éducation
en % du PIB
2010

Maroc

56,0 96,0 50,0 nc 5,4
Tunisie 78,0 99,0 85,0 90,0 6,3
Algérie 73,0 97,0 83,0 95,0 4,3
Egypte 72,0 96,0 85,0 72,0

3,8

Afrique sub-saharienne 63,0 77,0 31,0 40,0 nc
Monde 84,0 91,0 65,0 70,0 nc
Source : rapport Unesco 2012.

Place aux universités privées

« Il y a des vagues aujourd’hui qui arrivent à l’échelle universitaire, nous ne sommes pas capables d’intégrer tous ces jeunes dans les campus publics. L’Etat marocain à lui tout seul ne peut pas suivre le rythme de la demande du marché en matière de formation des cadres et en matière de recherche », indique Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur. Chaque année, le Maroc doit absorber 200 000 nouveaux bacheliers. Un véritable défi. Pour y répondre, le royaume encourage l’implantation d’universités privées, payantes. A l’instar de l’Université internationale de Rabat (UIR), fruit d’un partenariat public-privé, et qui a nécessité près de 100 millions d’euros d’investissements. L’UIR est construite à proximité du site Technopolis de Rabat. « L’idée c’est de mettre la problématique de l’emploi, de l’entreprise dans sa globalité au cœur de notre projet. Nous formons des futurs cadres opérationnels sur le marché de l’emploi, explique Mohamed Abdellaoui, vice président de l’UIR.  Nous sommes partis des plans sectoriels déclinés au Maroc pour voir dans quelle mesure nous pouvions les accompagner. Nous avons ainsi la première école d’ingénierie aéronautique, car le Maroc se positionne comme une plateforme industrielle dans ce secteur. Nous avons aussi mis en place une école d’ingénierie dans les énergies renouvelables pour accompagner la stratégie nationale ambitieuse dans ce domaine ».

Outre l’UIR, il existe au Maroc cinq universités privées. Dans ces universités, le coût de la scolarité varie entre 40 000 et 70 000 dirhams par an (entre 3 500 et 6 200 euros). Ces universités proposent des formations professionnalisantes dans les secteurs porteurs de l’économie marocaine, à savoir l’aéronautique, les énergies renouvelables, l’électronique, les télécoms, la finance ou encore le management.

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