Mondial 2022: Le Qatar doit faire mieux
Planet Labor
Le Qatar a annoncé la mise en place de normes de protection pour les travailleurs étrangers qui travaillent sur les chantiers du Mondial de football en 2022. Des normes qui ne garantissent en rien le respect des droits fondamentaux des travailleurs, dénonce la Confédération syndicale internationale.
Depuis plusieurs mois, les conditions de vie et de travail des ouvriers sur les chantiers du Mondial de football 2022 au Qatar sont largement dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme, les syndicats et les journalistes. Depuis le début du chantier, des centaines de travailleurs immigrés sont décédés. Dans une résolution adoptée en novembre, les eurodéputés en ont appelé à la responsabilité des entreprises européennes impliquées dans les chantiers pour qu’elles fassent respecter les normes sociales, mais également à celle de la Fédération internationale de football (Fifa) qui doit, selon eux, envoyer un message clair et fort au Qatar.
En réponse aux critiques et à la demande de la Fifa, l’émirat a publié le 11 février dernier une charte destinée à améliorer le sort des centaines de milliers de travailleurs appelés à bâtir les infrastructures de la Coupe du monde 2022. Doha a également invité l’Organisation internationale du travail (OIT) à vérifier leur application.
Ces nouvelles mesures exigent que les entrepreneurs restituent les passeports des employés, versent les salaires sur des comptes bancaires et prévoient un système permettant de « vérifier que tous les travailleurs sont bien payés et à temps ». Le Comité suprême pour les projets et l’héritage au Qatar, en charge de l’organisation du Mondial, prévoit aussi « des normes pour le logement des travailleurs, fixant des bases claires concernant le nombre de lits par chambre et assurant un seuil minimum en matière de propreté et d’hygiène ».
Mais pour l’OIT, auditionnée le 13 février par la sous-commission des droits de l’homme au Parlement européen à Bruxelles, le Qatar doit faire plus. Reconnaissant que Doha avait fait montre de sa bonne volonté, Gilbert Houngbo, directeur général adjoint de l’OIT, a mis en garde et plaidé pour qu’un travail soit fait simultanément sur plusieurs fronts, incluant une gestion éthique des flux migratoires et du marché du travail, l’harmonisation des politiques et cadres réglementaires et l’engagement à respecter les normes internationales du travail. Deux points préoccupent l’OIT en particulier : le télescopage entre les engagements pris par le Comité suprême et la législation nationale qatarie. Comment en effet s’assurer que les employeurs restitueront les passeports confisqués aux travailleurs étrangers, comme prévue par la kafala, sans que le gouvernement ne l’inscrive dans la législation nationale ? La kafala, système qui soumet l’obtention du permis de séjour à un parrainage local, est assimilé à de l’esclavage moderne. Les immigrés sont maintenus sous la coupe de leurs employeurs. En vertu de cette loi, les entreprises peuvent empêcher leurs employés de changer de travail ou de quitter le pays. Gilbert Houngbo a par ailleurs insisté sur la nécessité pour les travailleurs de pouvoir s’exprimer sans craindre des représailles. La législation qatarie ne reconnaît pas aux travailleurs migrants le droit de former un syndicat ou d’y adhérer.
Les normes annoncées par le Qatar « s’appuient sur un système d’autocontrôle caduque et discrédité qui a échoué par le passé au Bangladesh et dans d’autres pays où des milliers de travailleurs ont perdu la vie (…) Cette charte est un simulacre pour les travailleurs », a dénoncé Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI). « Si la Fifa tient sérieusement à ce que le Qatar reste le pays hôte de la Coupe du monde de 2022, elle devra exiger le plein respect de la liberté d’association, elle exigera des mesures immédiates pour mettre fin au système de kafala, pour accorder aux travailleurs le droit de négocier les salaires et les conditions, de même que l’établissement de tribunaux pour le traitement des plaintes », a ajouté Mme Burrow.
Entendu également par la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen, Theo Zwanziger, membre du comité exécutif de la Fifa, a admis que la situation des travailleurs migrants employés sur les chantiers est « inacceptable et horrible », mais ajouté que retirer la Coupe du monde au Qatar serait contre-productif et juridiquement pas possible. Il a promis que la Fifa ne « fermera pas les yeux » sur les abus tous en soulignant que l’instance internationale du football « ne peut pas tout faire ». M. Zwanziger a reconnu que la Fifa n’avait pas pris en compte la situation des droits de l’homme quand elle avait choisi le Qatar comme pays hôte du Mondial de 2022.