Mobilisation pour l’instauration en France d’un devoir de vigilance des sociétés mères

Planet Labor

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A quelques jours de la date anniversaire de l’effondrement de l’usine textile Rana Plaza au Bangladesh, la mobilisation s’organise en France pour que la proposition de loi visant à instaurer un devoir de vigilance des sociétés mères soit inscrite rapidement à l’ordre du jour du Parlement. A ce titre, plus de 300 personnes, députés, syndicalistes, responsables d’ONG, juristes, étaient réunis le 16 avril à l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi, déposée en novembre 2013 par trois députés PS et d’EELV (Philippe Noguès, Dominique Potier, Danielle Auroi) est soutenue par les quatre groupes parlementaires de gauche, par quatre organisations syndicales (CGT, CFTC, Force ouvrière, CFE-CGC) et par plusieurs ONG réunies au sein du Forum citoyen pour la RSE. Elle est en revanche très mal perçue du côté des entreprises. « Cette proposition de loi est le fruit d’un travail collectif, effectué en toute transparence. A chaque étape marquante, les organisations et les parlementaires ont tenu des réunions publiques. Cette transparence n’est pas le fait de nos détracteurs. Et là, je mets en cause clairement l’Afep (association française des entreprises privées) et le Medef qui font du lobbying en catimini auprès des cabinets ministériels, de Bercy, pour discréditer cette proposition de loi et avertir des dangers qu’elle ferait courir sur les entreprises et leur compétitivité, dénonce Michel Capron, président du forum citoyen pour la RSE. Pourquoi l’Afep ne s’exprime t-elle pas publiquement sur cette question ? ».

Cette proposition de loi qui fait écho au drame du Rana Plazza, vise à co-responsabiliser les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre dans les cas de violation des droits humains ou de catastrophe environnementale commis par leurs filiales et sous-traitants, en introduisant une obligation de moyen en matière de prévention de ces dommages. « Depuis un an, nous n’avons pas réussi à identifier les responsabilités en amont dans le drame du Rana Plazza et obtenir de ces responsables qu’ils versent des compensations. Il n’y a à ce jour, aucune indemnisation, réparation effective », déplore Sara Hossain, avocate à la Cour Suprême du Bangladesh. Suite à cette tragédie, un fonds fiduciaire a été constitué, placé sous la convention de l’OIT 121. Estimé à 40 millions de dollars, il vise à donner des compensations et un appui médical aux victimes. Mais ce fond n’est basé que sur la base de contributions volontaires, sans lien direct avec la responsabilité réelle des marques impliquées au moment du drame. A ce jour, quatorze marques ont indiqué qu’elles participeraient dont une seule française, Camaïeu. Depuis des mois, les ONG françaises tancent Carrefour et Auchan pour qu’elles contribuent à leur tour à ce fonds.

La proposition de loi intervient dans un contexte économique difficile. L’édiction de nouvelles normes est vue comme un frein à la compétitivité. « Mais le plus difficile, pour les ONG et la société civile, c’est de constater l’extraordinaire sophistication et la puissance de feu de la propagande éthique des grands acteurs du marché. Parce que cette propagande éthique a cette capacité formidable de chercher à flatter les consommateurs, les actionnaires, mais aussi d’organiser une forme d’irresponsabilité juridique. Etre co-responsable tout en étant irresponsable, tel est le nouveau paradigme des acteurs du marché », accuse William Bourdon, avocat au Barreau de Paris et fondateur de l’organisation Sherpa.

Face aux critiques de ceux pour qui la loi française n’est pas applicable (en vertu du règlement de Rome II de l’Union européenne), plusieurs juristes rétorquent que le droit international privé peut tout à fait être appliqué et interprété. « On peut se référer à l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui dit que tout travailleur a le droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. Il s’agit d’inventer ici l’horizontalité des droits de l’homme et de considérer qu’ils doivent s’appliquer dans les relations transfrontières », estime Laurence Sinopoli, maître de conférence en droit à l’université Paris Ouest.

« Il n’y a pas de législateur international. Il est montré que si les Etats du siège ne prennent pas les devants, il n’y aura rien. Le combat est d’abord celui des juristes des pays industrialisés », relève de son côté Antoine Lyon-Caen, professeur de droit à l’université Paris X et directeur d’études à l’EHESS.

La proposition de loi du 7 novembre 2013 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des donneurs d’ordre est un texte qui se situe dans un mouvement constant d’évolution de la responsabilité civile française qui a consisté à imposer des obligations toujours plus grandes : obligations d’information, de sécurité et aujourd’hui obligations de vigilance. « Cette proposition de loi ne contrevient à aucune des règles fondamentales de la responsabilité civile déjà existantes, formulées par les articles 1382 et 1383. Sauf que cette proposition de loi apporte un élément novateur, majeur : elle propose de renverser la charge de la preuve. Le choix est fait d’utiliser le mécanisme de la présomption. En cas de dommages, s’il y a un lien avec les activités de la filiale contrôlée par la société mère, il sera présumé que la société mère a inexécuté  son devoir de vigilance, il lui appartiendra donc de prouver qu’elle a bien respecté des mesures de vigilance », explique Anne Danis Fatome, maître de conférence en droit à l’université Paris Ouest. « C’est un régime de responsabilité qui reste ancré sur la faute, mais qui protège la victime mal armée à apporter la preuve d’une faute. Qui en effet, de la victime ou de la maison mère est la mieux placée pour montrer que les normes de sécurité ont été respectées dans une chaîne de production ? C’est bien évidemment la société mère ».

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