Et si l’Afrique était partie pour être l’eldorado des organismes génétiquement modifiés

Le Point Afrique

masedi farm - cotton

L’un après l’autre, les pays africains succombent au discours en faveur des biotechnologies, au grand dam de nombreux observateurs.

« Le Nigeria aura de la nourriture en quantité suffisante pour nourrir sa population élevée, seulement si les paysans adoptent les biotechnologies », a indiqué le 26 mai dernier Winifred Oyo Ita, secrétaire permanente au ministère nigérian des Sciences et des Technologies. Selon Mme Oyo Ita, il n’y a rien à craindre des biotechnologies et des cultures OGM. Et son discours fait écho aux positions politiques de plus en plus favorables aux biotechnologies sur le continent africain. Un exemple : le Bénin. Il y a quelques mois, ce pays a levé son moratoire sur les OGM, après dix ans d’interdiction. « Aujourd’hui, le Bénin dispose du minimum pour aller vers la biotechnologie, il possède un laboratoire national de biosécurité équipé de matériels de dernière génération. Des experts ont été formés », indique Kakpo Comlan Marcel, point focal national du Protocole de Carthagène. « La biotechnologie est une science et le Bénin a le droit et le devoir de la maîtriser, et de l’utiliser dans le domaine qu’il jugera prioritaire. Il y a des avantages sur le plan de la santé, de la protection de l’environnement et surtout au niveau de la conservation de la diversité biologique et de la lutte contre les changements climatiques », avance Kakpo Comlan Marcel.

De plus en plus de pays africains font des essais de cultures OGM

Dans son dernier rapport, International Service for the Acquisition of Agri-Biotech Applications (ISAAA), organisation pro-OGM, indique que sept pays africains supplémentaires ont réalisé en 2013 des essais en plein champ de nouvelles cultures transgéniques (coton, maïs, banane, patate douce et niébé). Il s’agit du Cameroun, de l’Égypte, du Ghana, du Kenya, du Malawi, du Nigeria et de l’Ouganda. Le Soudan a planté des OGM pour la première fois en 2012, avec aujourd’hui 60 000 hectares de coton transgénique, rejoignant ainsi le Burkina Faso et l’Afrique du Sud. En 2013, le Burkina Faso a augmenté ses superficies OGM de 50 % pour atteindre 474 000 hectares de coton Bt. De son côté, l’Afrique du Sud est aujourd’hui le 8e producteur mondial d’OGM, avec 2,85 millions d’hectares.

Pour l’ISAAA, le manque de systèmes de régulation scientifique, appropriés, continue d’être un frein majeur à l’adoption des OGM en Afrique. Un manque que cherche à combler depuis cinq ans l’African Biosafety Network of Expertise (ABNE), un programme du Nepad, financé majoritairement par la fondation américaine Bill and Melinda Gates. L’ABNE appuie les pays africains dans la mise en oeuvre de leur réglementation en matière de biosécurité, s’adressant aux politiques, législateurs, comités nationaux de biosécurité ou encore agents chargés de la protection des végétaux.

En Afrique de l’Ouest, un travail commun a commencé pour établir un cadre régional de biosécurité

Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (Uemoa) et le Comité inter-État pour le contrôle de la sécheresse au Sahel (CILSS) travaillent pour établir un cadre de biosécurité régional commun pour tous les pays de la sous-région. « Un cadre harmonisé devrait être adopté par le conseil des ministres de la Cedeao avant la fin de cette année », indique Moussa Savadogo, responsable du département environnement du réseau ABNE. Est-ce à dire que les OGM pourront circuler facilement d’un pays à l’autre ? « Je ne le crois pas, nous sommes en train de regarder ce qui se fait au niveau de l’Union européenne. Cela devrait être assez similaire », avance Jean Keberé, responsable communication de l’ABNE. « S’il doit y avoir harmonisation au niveau de la sous-région, ce sera vraisemblablement calqué sur le Burkina Faso, le plus avancé en matière de biotechnologie. Les Burkinabais ont été très forts au niveau des négociations avec les promoteurs de technologies. La biotechnologie a été insérée dans une variété qui appartient aux Burkinabè. Aujourd’hui, le Burkina produit ses propres semences OGM, via son institut de recherches Inera, et les diffuse. Il n’y a pas de main mise de qui que ce soit », selon Jean Keberé.

Pour les anti-OGM, les États-Unis encouragent les États africains à aller vers les OGM

Mais pour Francis Ngang, point focal régional de la Copagen, plateforme opposée aux OGM et qui regroupe neuf coalitions nationales en Afrique de l’ouest, « les États-Unis, via l’USAID notamment, poussent les pays africains à se tourner vers les OGM ». Les responsables politiques africains ont le sentiment que s’ils lâchent la bride, ils recevront davantage d’aide américaine, au niveau de la recherche, des échanges commerciaux, des projets de développement, des investissements dans l’agriculture… Tous les moyens sont bons pour exercer des pressions. Dans la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, une invention des États-Unis avec le G8, lancée en 2012, il y a un volet biofortification. Or la biofortification passe par les OGM. « C’est une ligne de conditionnalité pour qu’un pays puisse être éligible à cette initiative du G8 », indique Francis Ngang.

Autant le dire : le camp des anti-OGM est inquiet. « Il y a bien aujourd’hui sur le continent africain une tentative de contrôle du marché des semences par l’agro-industrie avec en bout de chaîne la perspective de profits énormes », s’alarme le militant de la Copagen. D’ici 2050, la population en Afrique devrait quasiment doubler pour atteindre 2,4 milliards. « Il y a d’autres solutions. Ce ne sont pas les OGM qui ont nourri l’Afrique jusqu’à aujourd’hui. L’agriculture africaine est familiale à 90 %. Ce potentiel peut être mis en valeur. Mais il faut savoir si l’on est prêt à mettre autant d’argent dans l’agriculture écologique qu’on en a mis dans la recherche sur les biotechnologies. Avec tous les avantages de la durabilité environnementale et sociale. C’est d’abord une question de choix politique », relève Francis Ngang.

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