Développement : la France met l’aide publique au régime sec
Le Point Afrique
Bidonville de Sidi Moumen à Casablanca © C. Marot
Dans la dynamique de restriction budgétaire, les crédits votés pour l’Aide publique au développement (APD) en 2015 accusent une nouvelle baisse de 2,8% à 2,79 milliards d’euros.
Si la trajectoire budgétaire tracée par le gouvernement français est respectée, cela représentera une diminution de l’APD de 20% sur le quinquennat, soit sept années de baisse consécutive. Les députés, exaspérés par ces réductions successives ont tenté de limiter la casse en réaffectant le 28 octobre dernier, et contre l’avis du gouvernement, 35 millions d’euros de prêts à la politique de dons pour les pays les plus pauvres.
De coupe en coupe, l’APD se réduit plus que sensiblement
« Sur les trois prochaines années, les coupes prévues dans l’APD sont dix fois plus importantes que celles opérées sur les autres postes du budget général« , regrette Christian Reboul, responsable de plaidoyer financement du développement à Oxfam France et administrateur de Coordination Sud. Pourtant, la crise n’explique pas tout. Toutes tendances politiques confondues, la Grande-Bretagne a maintenu, elle, son effort d’aide à 0,7% du PIB… et de fait son influence, notamment dans la production et la diffusion des idées sur le développement. Redéfinir l’aide au développement, ses objectifs, bâtir des financements innovants : depuis 18 mois, l’avenir de l’aide est largement débattu dans les enceintes des Nations unies et au sein des gouvernements, tandis que se dessinent les futurs Objectifs du développement durable (ODD) qui devront être adoptés à l’automne 2015.
Une aide adaptée au niveau de développement est nécessaire
Au niveau international, tout le monde reconnaît que l’aide devra être plus importante pour les pays les plus pauvres et les plus vulnérables, et de plus en plus marginale pour les pays à revenus intermédiaires et les Emergents. » Si l’aide a besoin d’être réformée, cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner l’objectif quantitatif. Les pays en développement, le groupe des 77, demeurent très attachés à l’objectif de 1% du PIB fixé à la fin des années 60. Il va donc ressortir dans le nouvel agenda du développement. Dans le même temps, le concept d’APD est actuellement revisité par l’OCDE. Cela devrait aboutir prochainement à une nouvelle façon de mesurer la part des prêts à côté des dons, mais aussi introduire une certaine différenciation entre les pays sur la base de l’accès aux marchés financiers, afin de mesurer l’effort d’aide. C’est un débat très sensible, notamment en France, car, selon les solutions adoptées, cela va faire monter l’APD ou la diminuer« , souligne Patrick Guillaumont, économiste et président de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI) à Clermont Ferrand.
L’aide victime du changement climatique
Bousculée par la montée de nouveaux défis climatiques, sanitaires et alimentaires, l’aide au développement est bien en train vivre un changement de paradigme. L’APD française est touchée par ce grand chambardement. « Pour pouvoir répondre aux grands enjeux de demain, notamment la lutte contre le dérèglement climatique, il nous faut absolument changer notre politique de développement« , plaide Annick Girardin, secrétaire d’Etat chargée du développement et de la francophonie. Et d’ajouter : « Lutter contre le réchauffement et lutter contre la pauvreté, ce sont de mêmes objectifs. Quand on parle d’inondations, d’ouragans, de montées des eaux : les pays touchés sont les plus défavorisés. Le développement change et va demander des besoins financiers différents, beaucoup plus importants. L’APD ne pourra pas y répondre seule, elle doit continuer à exister mais aussi être le meilleur levier pour mobiliser d’autres ressources publiques et privées, particulièrement des financements innovants« .
Le rapport Faber pour une nouvelle approche
Commandé par le ministère des Affaires étrangères et remis au gouvernement en juin dernier, le rapport Faber qui défend une nouvelle approche du développement associant davantage le secteur privé, alimente le débat et suscite la méfiance des ONG. » Il est écrit que l’APD est un champ de ruine conceptuel. C’est un peu radical ! On ne peut pas balayer l’aide publique comme cela. On aura toujours besoin de crédits publics pour venir renforcer l’Etat, développer des systèmes de santé, des systèmes d’éducation, ce n’est pas le secteur privé qui va pouvoir faire tout cela « , pointe Christian Reboul d’Oxfam. Le rapport corédigé par Emmanuel Faber, directeur de Danone, suggère par exemple la création d’une Facilité de l’économie inclusive pour le développement (FEID) afin de diminuer le niveau de risque qui freine l’investissement privé (fonds d’impact investing, entreprises BOP, marchés carbone).
Financements innovants : le débat est intense
« La France est à l’initiative de la taxe sur les transactions financières (TTF), nous avons mis également en place la taxe sur les billets d’avions, nous réfléchissons à la loterie solidaire, aux dons par SMS« , rappelle Annick Girardin. En France, 25% de la TTF est censée abonder l’aide au développement. Au niveau européen, le projet de taxe sur les transactions financières n’a toujours pas abouti. Si l’Allemagne s’y est ralliée, le Royaume Uni, lui, reste opposé. Et si cette taxe se met en oeuvre, il n’est pas certain qu’elle soit utilisée pour le développement, mais plutôt pour rééquilibrer les budgets des pays développés. « Aujourd’hui, on cherche des moyens de financer non seulement le développement, mais aussi la lutte contre le réchauffement climatique. Entre les deux, il peut y avoir un conflit de ressources, une concurrence dans l’utilisation de ces financements innovants« , relève Patrick Guillaumont, président de la FERDI qui poursuit : « Je crois que le rôle de l’APD est principalement de s’attaquer à la pauvreté et que le secteur privé devrait être proportionnellement beaucoup plus impliqué dans des actions liées au réchauffement climatique, parce que cela concerne l’ensemble des acteurs économiques« .