Festival d’Essaouira : aux sources de la musique gnaoua

Le Point Afrique

Fest.Gnaoua2015.Scene.Plage.Maalem.Hamid.El.Kasri.&.Humayun.Khan.16.05∏SifeElAmine.PD-14

 

Créé il y a 18 ans, le festival Gnaoua a permis une reconnaissance internationale de cette musique longtemps négligée et marginalisée.

C’est un dédale de rues sombres et étroites qui mène à la Zaouïa de Issaoua, édifice de la confrérie gnaoua, situé au cœur de la médina d’Essaouira. Dans le soir électrique, des silhouettes furtives se hâtent de rejoindre la lila, rituel spirituel aux vertus thérapeutiques, mêlant musique, chant et danse, jusqu’à la transe. Une cérémonie à la lisière du sacré et du profane, au cours de laquelle s’invitent les djinns (esprits).

Le noir exhorte l’Afrique et les esprits de la forêt

Dans le patio, les sept couleurs de la tagnaouite (l’art gnaoui) sont levées : le blanc est la couleur du prophète ; le vert convie les marabouts ; le bleu appelle les esprits de la mer et du ciel ; le noir exhorte l’Afrique et les esprits de la forêt ; le rouge désigne le sacrifice ; le jaune convoque les esprits féminins. La lila débute par une prière religieuse. Puis le maâlem, maître musicien, appelle tour à tour les couleurs, figurant le répertoire musical traditionnel. Un patrimoine polyrythmique, amené par les esclaves africains noirs issus de la traite orientale (notamment de Guinée, du Sénégal, du Mali). Déjà, des parfums d’encens montent vers le ciel. Peu à peu, les participants se laissent happer par les chants, les rythmes des crotales et le son envoûtant du guembri. Parmi eux : des initiés, mais aussi des touristes étrangers venus à la faveur du festival Gnaoua d’Essaouira.

Ce festival, des retrouvailles entre cousins

Créé il y a 18 ans, ce festival a permis une reconnaissance internationale de cette musique longtemps négligée et marginalisée. Tandis que l’ultra conservatisme religieux gagne du terrain dans le pays, la culture gnaoua, empreinte d’ouverture et de tolérance, trouve un écho certain auprès de la jeunesse marocaine. Des groupes locaux, comme Darga, s’en inspirent. La musique sort même de ses frontières. Le groupe Timbuktu, qui réunit des musiciens venus du Maroc, du Sénégal et du Mali, reprend le répertoire traditionnel. « Chez les gnaouas, on utilise le guembri, le tambour, les crotales. Au Mali et au Sénégal, il y a la kora et la calebasse. Ce sont des instruments traditionnels similaires. Ce projet, ce sont des retrouvailles entre cousins. On chante en arabe, en wolof, en bambara. Ici au Maroc, il y a encore beaucoup de racisme et de préjugés envers les Noirs. Timbuktu c’est pour dire que l’on est tous pareils », indique le Marocain, Khalid Sansi. « C’est le voyage qui a ramené au Maroc cette musique d’origine bambara et mandingue. Nous, nous souhaiterions retourner au puits (ndlr : Tombouctou), nous reposer autour de l’arbre et rediscuter de ce que nous partageons, de nos vraies valeurs africaines », confie Malick Diop, Sénégalais et l’un des leaders du groupe. C’est grâce aux confréries soufies marocaines que la musique gnaoua s’est structurée, métissée et continue d’évoluer.

Des contacts maintenus avec le monde musical subsaharien

« C’est un montage typiquement marocain. Au Mali ou au Niger, on trouve des choses ressemblantes mais pas de musique gnaoua à proprement parler. Dans cette musique, on va au delà des règles musicales, du solfège classique. Dans le guembri par exemple, il y a des sonorités que l’on ne peut pas écrire », indique le maâlem Abdeslam Alikane, président de l’association Yerma pour la promotion et la diffusion du patrimoine gnaoui. Le maâlem Alikane se rend régulièrement en Afrique de l’Ouest pour rencontrer ses pairs musiciens et percer le secret de l’argot africain chanté par les gnawa. « Nous chantons en arabe et utilisons aussi des mots tirés de dialectes peul, haoussa, bambara, foula, tamacheck. Des mots dont nous avons fini par perdre le sens. Je suis allé au Mali, au Niger, au Togo, au Ghana, au Burkina Faso, au Sénégal. Je continue de chercher la signification dans les musiques locales, les folklores », explique le maâlem Alikane.

Un bémol : la perte de certains aspects rituels

Si le patrimoine musical subsiste et se renouvelle, en revanche, l’aspect rituel des lilas, le culte de possession aux vertus thérapeutiques, se perd. «  Autrefois, les maâlems jouaient pour exprimer une souffrance, aujourd’hui l’approche est plus artistique. Et la transmission est difficile, notamment entre les moqadema (organisatrices des lilas) et leurs filles. Ces dernières ne souhaitent pas reprendre le flambeau, voire elles préfèrent devenir pharmaciennes, confie Abdeslam Alikane. Les gens ont davantage recours à la médecine et aux technologies. Les temps changent, mais il reste des problèmes non résolus, des maladies de l’âme, que l’on ne comprend pas. Les lilas ont des vertus thérapeutiques, on y guérit avec le cœur. Participer à une lila, c’est retrouver l’essence d’un monde invisible ».

Pour préserver l’héritage de la culture gnaoua, l’association Yerma a demandé son inscription au patrimoine immatériel mondial de l’Unesco.

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