COP 21 : Les entreprises françaises entendent peser sur les négociations
Enjeux
Usine de valorisation du méthane (photothèque Veolia, Nicolas Vercellino)
Prix carbone, énergies renouvelables, économie circulaire, méthane : Tandis que Paris se prépare à accueillir la COP 21, les entreprises françaises font valoir leurs attentes en matière climatique.
Tandis que Paris se prépare à accueillir la 21ème Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP 21), les entreprises françaises font valoir leurs attentes en matière climatique, souhaitant peser sur les négociations. Du 30 novembre au 11 décembre 2015, les représentants de 196 Etats, experts, ONG et entreprises vont se retrouver avec pour objectif de parvenir à un accord pour limiter à deux degrés le changement climatique d’ici la fin du siècle. Dans le transport, l’habitat, l’énergie, l’usage des sols, la finance, les entreprises développent des solutions technologiques et financières pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et s’adapter aux conséquences du changement climatique. Mais pour transformer l’essai, elles attendent la mise en place de politiques publiques autrement plus ambitieuses, ainsi qu’un cadre réglementaire élargi et plus incitatif. « Nous savons faire la décarbonation, mais il faut maintenant que ces solutions se déploient plus rapidement. C’est une question de rythme, de coût d’investissement, de mode de financement et de prise de décisions des acteurs. Il faut des politiques ! Les entreprises ont investi pour développer des solutions et sont prêtes à continuer à le faire, mais à condition de voir des perspectives concrètes de marché. Elles ne peuvent pas investir à fonds perdus, elles ont des actionnaires et il y a aussi des questions de compétition internationale », indique Claire Tutenuit, délégué général de l’Association française des entreprises pour l’environnement (EPE).
Prix carbone
Pour accompagner ce mouvement, les entreprises plaident pour la fixation d’un prix carbone, perceptible et prévisible, pour influencer les investissements industriels et qui pourrait s’appuyer sur l’expérimentation de marchés menée aux Etats-Unis, en Europe et en Chine. Veolia a ainsi fixé son propre prix carbone, prix théorique permettant d’intégrer les émissions de GES dans les décisions d’investissement : ce prix devrait atteindre 31 euros la tonne à l’horizon 2020. « Si on fait de l’efficacité énergétique, par exemple, sans prix du carbone, il risque d’y avoir un effet rebond : les gens chaufferont plus, voyageront plus, habiteront plus loin de leur travail », prévient Claire Tutenuit.
Energies vertes
Le secteur financier demande aussi la mise en place d’un mécanisme pour le financement de la transition énergétique dans les pays du Sud, de type Font vert pour le climat, afin de garantir les projets d’infrastructures soutenus. Les opérateurs attendent en outre des incitations pour promouvoir l’économie circulaire et la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles afin de favoriser en retour les énergies vertes. Il y a huit ans, Renault a fait le pari de la mobilité des véhicules électriques. « C’est une option stratégique. D’autres constructeurs ont fait d’autres choix. Aujourd’hui, 70% de nos dépenses de recherche et développement sont liées à des thématiques environnementales. C’est considérable », souligne Claire Martin, directrice RSE de Renault. Or, introduire sur le marché un véhicule électrique implique une transformation de l’écosystème : il ne s’agit plus de vendre seulement un véhicule, cela consiste aussi à monter des partenariats avec d’autres entreprises privées producteurs d’électricité, des constructeurs de batteries, des installateurs de réseaux de recharge. « Cela demande également de conclure des partenariats privés publics, de s’entendre avec les collectivités pour développer les bornes de recharges et les parkings, avec les régions, avec l’Etat. Et pour que l’on soit cohérent, il faut que se développe la production d’électricité verte, renouvelable », ajoute Claire Martin. L’objectif du groupe Renault est de réduire son empreinte carbone de 3% par an. Dans la région Méditerranée, les usines dernières nées à Tanger en 2012 et Oran en 2014 sont exemplaires : alimentation en énergie renouvelable à partir de l’éolien et de la biomasse, réduction des consommations des sites en énergie thermique de 30 à 35%, aucun rejet d’eaux usées d’origine industrielle dans le milieu naturel, etc. En Ile de France, la RATP prévoit, elle, de supprimer les bus au diesel et de convertir tout son parc à l’électrique et au biogaz d’ici 2025. Une stratégie qui permettrait de diminuer de 50% son bilan carbone. D’ici à 2050, le secteur des transports s’apprête à connaître une croissance considérable, alimentée par l’essor économique et démographique des pays émergents. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit une hausse de 80% du secteur du transport de personnes et une augmentation de 50% du secteur du transport de marchandises.
Réglementation
Dans un environnement changeant, les entreprises plaident pour une standardisation des pratiques et la réglementation. « La réglementation et la standardisation ont un rôle essentiel à jouer pour guider les choix techniques. Il y a d’énormes besoins de réglementations dans le secteur des transports, où il y a à la fois de nouveaux véhicules et de nouveaux carburants, notamment les véhicules électriques ou fonctionnant avec de l’hydrogène, il y a de nouvelles technologies, de nouvelles motorisations. Ce qui fait bouger les émissions du secteur transport en ce moment, c’est la réglementation sur les émissions des voitures (…) La réglementation et la standardisation sont aussi extrêmement efficaces pour faire de l’efficacité énergétique par exemple, on le voit avec la réglementation thermique 2012, », souligne Claire Tutenuit de l’Association EPE. La RT 2012 a pour objectif de limiter la consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs, à 50 kWh/m2/an.
En France mais aussi en Europe, un travail de normalisation est engagé pour prendre en compte l’adaptation au changement climatique pour les transports, les bâtiments, les infrastructures d’énergie. Les normes ISO 14064 (sur la quantification, réduction et suppression des émissions de GES) sont en voie de révision.
Outre le CO2, la question du méthane est sur le tapis. « Nous souhaitons que la question du méthane soit prise en compte lors de la COP 21, à la fois quant à la réalité de son pouvoir de réchauffement et d’autre part que le captage et la valorisation du méthane soient intégrés dans les politiques publiques. Cela pourrait devenir un standard pour tous les centres d’enfouissement technique », indique Pierre Victoria, directeur du développement durable de Veolia. Le troisième émetteur de méthane après les secteurs pétrole/gaz et vaches/riziculture, sont les centres de stockage de déchets. Sur une période de 20 ans, le méthane a un pouvoir de réchauffement 80 fois supérieur au CO2.
La réglementation certes, mais pas trop. Le secteur banque finance met en garde. « Il y a vis à vis des banques des injonctions quelque peu contradictoires », prévient Séverin Fischer de BNP Paribas. « On leur demande aujourd’hui de financer la transition énergétique. Par ailleurs, la réglementation prudentielle Solvancy II et Bâle III imposent aux banques d’avoir des ratios de liquidité très conséquents dans leur bilan et ceci vient pénaliser le financement du long terme. Financer la transition énergétique, c’est souvent financer le long terme, très gourmand en capitaux. On parle déjà de Bâle IV. Peut-être faut il remettre un peu de souplesse dans la réglementation bancaire au moment où l’on a besoin de financer la transition énergétique », suggère Séverin Fischer.
Depuis plusieurs mois, face aux enjeux environnementaux et économiques, les entreprises s’engagent à plus de transparence. Le Fonds Ethique et Partage du CCFF-Terre Solidaire a décidé début septembre d’exclure le secteur des industries fossiles de son fonds commun de placement (FCP) socialement responsable. En mai dernier, le groupe BNP Paribas a décidé lui de rejoindre le Montréal Carbon Pledge s’engageant ainsi à mesurer et publier l’empreinte carbone de l’ensemble de son portefeuille d’investissements, à l’instar de la Caisse des Dépôts, du groupe Axa, de CNP Assurances. Le Montréal Carbon Pledge est une initiative conjointe du Global Compact et du Programme des Nations unies pour l’environnement, lancée en 2014.
« Les conditions sont réunies pour qu’il y ait un engagement fort à l’issue de la COP 21. Mais avec cela, il faudra l’instauration d’un mécanisme de suivi suffisamment puissant, en termes de monitoring et de reporting », relève Séverin Fischer.