Afrique : « l’emploi vulnérable », un mal chronique
Le Point
Abidjan en Côte d’Ivoire : des ouvriers sur un point de chargement. © Philippe Roy
Les taux de chômage élevés persistants à l’échelle mondiale et l’emploi vulnérable chronique dans beaucoup d’économies émergentes ou en développement continuent d’affecter profondément le monde du travail, avertit le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les perspectives pour l’emploi et les questions sociales en 2016. Selon l’OIT, en raison du ralentissement de l’économie mondiale en 2015, le nombre de chômeurs dans le monde devrait s’accroître de près de 2,3 millions, pour atteindre 199,4 millions en 2016, soit un taux de chômage global de 5,8 %. Si dans les économies avancées, le nombre de chômeurs devrait légèrement reculer, en revanche il devrait augmenter dans les pays émergents et en développement.
Des disparités à conjuguer avec l’informel
L’Afrique subsaharienne devrait connaître un taux de chômage quasi stable de 7,5 %, mais avec de fortes disparités. Sur le continent, les taux de chômage les plus élevés se situent en Mauritanie (31,06 %), au Lesotho (27,9 %), en Afrique du Sud (25,49 %), en Namibie (24,68 %), au Mozambique (22,15 %), en Libye (20,62 %) et au Gabon (20,47 %). Le taux de chômage attendu en Afrique du Nord se monte, lui, à 11,8 % (en baisse de 0,3 point comparé à 2015). Des chiffres à relativiser toutefois au regard de l’ampleur de l’informel qui occupe 60 à 80 % des travailleurs africains. Ce secteur informel est inférieur à la moyenne en Afrique australe, mais il atteint des pics en Tanzanie (76,2 %), à Madagascar (89,2 %) et en Ouganda (93,5 %).
Au-delà du problème de la qualité des emplois…
D’après l’OIT, la qualité des emplois reste une préoccupation majeure partout dans le monde. La précarité de l’emploi est le lot de 1,5 milliard de personnes, soit plus de 46 % de l’emploi total. En Afrique, malgré un taux de chômage moyen relativement bas et une forte participation au marché du travail, le sous-emploi, la précarité et la piètre qualité des emplois restent problématiques. L’extrême pauvreté touche plus de 34 % des travailleurs. Ainsi, en Afrique subsaharienne, à l’image de l’Asie du Sud, plus de 70 % des travailleurs occupent un emploi vulnérable. Ces travailleurs vulnérables (exerçant à leur compte et travailleurs familiaux non rémunérés) ont non seulement un accès limité aux régimes contributifs de protection sociale, mais ils pâtissent d’une faible productivité ainsi que de rémunérations médiocres et extrêmement aléatoires. L’emploi vulnérable est particulièrement élevé dans les pays du Sahel, en Afrique centrale et dans la Corne de l’Afrique. Plus de 70 % des salariés en Afrique ne bénéficient pas de protection sociale.
… les inégalités liées au genre
On observe également des différences notoires de qualité d’emploi entre les hommes et les femmes. Les femmes ont plus de risques (25 à 35 %) que les hommes d’occuper un emploi vulnérable. « Beaucoup d’hommes et de femmes qui travaillent sont contraints d’accepter des emplois peu rémunérés, dans les économies émergentes comme dans les économies en développement et aussi, de plus en plus, dans les pays développés.(…) Nous devons prendre des mesures d’urgence pour accroître le nombre d’emplois décents, sous peine d’aviver les tensions sociales », indique Guy Ryder, directeur général de l’OIT. Pour parvenir au travail décent, qui figure parmi les objectifs de développement durable, les Nations unies préconisent de relever le taux d’activité des femmes et de réduire les inégalités salariales.
Respect des normes et protection sociale, les derniers bastions
Le Programme de développement durable pour 2030 appelle en outre à un plus grand respect des normes internationales et nationales du travail, notamment pour les travailleurs migrants et ceux engagés dans des formes d’emploi atypique et précaire. Il prône aussi la mise en œuvre de politiques de protection sociale. En Afrique, l’indemnisation chômage n’existe quasiment pas. Seuls 35 % de la population active bénéficie d’une couverture retraite. Le continent subsaharien compte la plus forte proportion au monde d’enfants au travail. Près de 28 % des 5-17 ans travaillent, soit 58 millions d’enfants (14,8 % en Asie et 9 % en Amérique latine).