L’impératif agricole

Afrique Magazine

 

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Des femmes cueillent des feuilles de thé en Tanzanie (ONU)

La population du continent devrait doubler d’ici 2050. Pour produire plus et mieux, il faut mettre en place une véritable révolution verte.

Le problème est chaque jour plus pressant. Au fur et à mesure que la population croît, que les changements climatiques se multiplient, que l’exode rural nourrit une urbanisation galopante. Comment nourrir les Africains ? La plupart des pays pauvres d’Asie et d’Amérique Latine ont connu une mutation agricole ces 40 dernières années. Le continent, lui, reste à la traine, sujet à de nouvelles crises alimentaires. Quelques chiffres aident à comprendre la situation. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le secteur mobilise encore plus de la moitié de la population active en Afrique subsaharienne, avec un rôle prépondérant au Burkina Faso (84%), en Ethiopie (79%), au Rwanda (78,8%), en Tanzanie (76%) ou encore en Ouganda (65%). Mais, il est incapable de produire pour couvrir les besoins, qui sont croissants, avec un nombre d’habitants qui devrait doubler d’ici 2050. Résultat, en dix ans, les importations de céréales ont augmenté de 58%, celles de produits laitiers ont bondi de 84%, quand celles de viandes et sucre ont plus que doublé. Autant de dépenses qui ne vont pas dans le développement du secteur sur place.

« La production agricole a cru ces dernières années mais pas à un rythme suffisant pour répondre aux besoins de consommation. En outre, cette hausse s’explique davantage par une augmentation des surfaces cultivées que par l’amélioration des rendements. Ce qui traduit un problème récurrent de faible productivité », souligne Laurent Levard, expert agriculture au Groupe de recherche et d’échanges technologiques (GRET). Ainsi, entre 2000 et 2011, les rendements observés pour les céréales ont augmenté de 1,5 % sur le continent, bien en dessous des 5% constatés au niveau mondial. A l’inverse, les surfaces cultivées ont augmenté de 2,7% contre seulement 0,6% pour l’ensemble de la planète, selon des chiffres de la FAO. Cette faible productivité s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs : manque de formation, faible mécanisation, techniques de culture inadaptées face à la baisse de la fertilité des sols, toujours plus sollicités. Certains indicateurs ne trompent pas. La surface cultivée par paysan est très faible sur le continent, inférieure à 0,5 hectare dans la région des Grands Lacs notamment. Dans nombre de pays, la consommation d’engrais (azoté, potasse et phosphate) est inférieur à 10 kg par hectare de terre arable, contre 203 kg en Allemagne, 579 kg au Chili, voire 841 kg en Chine ! Sans compter que le changement climatique complique encore la donne, en multipliant les épisodes de sécheresse, l’érosion et la désertification. Dernier point de blocage, et non des moindres, l’inégalité dans l’accès au foncier. Qu’il soit question de terres collectives, droit coutumier, droit d’usage, absence de titres de propriété, le problème se pose partout, aggravé par le phénomène d’accaparement des terres. Sur les 2,7 milliards d’hectares que compte le continent, 38% est destiné à l’agriculture et 22% à la forêt. Les terres agricoles sont essentiellement des plaines et pâturages (78%), les terres arables n’en représentant que 19,8%, 2,6% pour les cultures permanentes.

Structure familiale ou modèle intensif

Pendant des années, les politiques d’ajustements structurels, associées à une action publique erratique, ont conduit aux démembrements des mécanismes et institutions de soutien au secteur (services vétérinaires, caisses de stabilisation, etc.). La question agricole a été négligée avant de revenir sur le devant de la scène après les émeutes de la faim en 2008. Aujourd’hui, deux modèles de développement cohabitent sur le continent, l’agriculture familiale et le modèle intensif. D’où viendra le sursaut tant attendu ? D’un côté, les pratiques agro-écologiques sont redécouvertes et soutenues. La politique agricole commune (PAC) que tente de mettre en place la CEDEAO appelle à revaloriser les productions traditionnelles et locales. Au Rwanda, l’agriculture, essentiellement familiale, est en pleine expansion grâce à de nouvelles techniques de culture à flanc de colline, à la fois durables et productive, dans une initiative financée notamment par la Banque mondiale. De l’autre côté, les gouvernements mettent l’accent sur les cultures d’exportation et de rente, avec le soutien d’investisseurs étrangers et les progrès de la biotechnologie. Les deux camps insistent sur l’innovation : aux OGM et insecticides chimiques répondent le « push pull » (lutte biologique contre les parasites et les mauvaises herbes) et ses systèmes de cultures intercalaires ; face aux semences Nerica, portées par une coalition de gouvernements, d’instituts de recherche, de bailleurs et de semenciers privés se développe le riz biologique au Sénégal selon le SRI (système de riziculture intensive).

« L’un des problèmes, c’est aussi la concurrence entre les productions locales et importées, souligne Frédéric Mousseau, directeur des politiques à l’Oakland Institute. Les Sahéliens se sont détournés du mil et du sorgho pour consommer du blé et du riz, qui n’étaient pas des céréales traditionnelles. Autrement dit, on a créé une demande artificielle. Pour de nombreux dirigeants, la modernisation de l’agriculture signifie adopter le modèle productiviste, européen ou nord-américain. Sauf que les sols s’appauvrissent, la population augmente, les budgets aussi, et, au final, la dépendance des pays vis-à-vis de l’extérieur s’accroît. » In fine, l’agriculture profite aux négociants, aux grandes industries chimiques et à certains responsables politiques plus qu’aux petits paysans. Et le chercheur de citer l’exemple du Malawi, très dépendant des engrais et semences hybrides. Une position battue en brèche par les promoteurs du Nerica qui soulignent le succès de cette variété de riz à haut rendement contre la faim et la pauvreté en Afrique de l’Ouest. Issu du croisement d’une ancienne variété africaine très résistante et d’une variété asiatique à haut rendement, le Nerica a été mis au point par le Centre du riz pour l’Afrique (AfricaRice), l’un des 15 centres de recherche agricole, membre du CGIAR. AfricaRice compte 24 pays membres africains. Sans oublier le succès sud-africain, qui, avec des moyens modernes et à grande échelle, est capable de nourrir sa population et de dégager un surplus exporté sur le continent. Le Maroc aussi parie sur une agriculture productiviste. Le royaume, qui détient les plus grosses réserves de phosphates au monde, a ainsi inauguré en février une usine géante de production d’engrais pour répondre aux besoins du continent (Africa Fertilizer Complex).

Reste que les agriculteurs ne cessent de dénoncer les prix trop bas qui leur sont payés. La libéralisation des marchés agricoles du continent s’est faite alors que la productivité était inférieure à celle des acteurs ailleurs dans le monde. Le coton ouest africain est en concurrence avec le coton américain qui bénéficie de subventions cachées. L’Europe a longtemps protégé ses paysans grâce à la politique agricole commune. Aux prix faibles, s’ajoute la volatilité des cours et donc celles des revenus. En l’absence de systèmes d’assurances et de protection sociale, l’incertitude obère les décisions d’investissement. « Les paysans ne peuvent pas en réaliser en raison de leurs faibles revenus et d’un accès insuffisant aux financements », insiste Laurent Levard, l’expert du GRET. Au niveau national, les dépenses publiques consacrées à l’agriculture demeurent insuffisantes : en dehors du Zimbabwe (16% du budget) et du Malawi (10% environ), la plupart des autres pays africains lui accordent moins de 6%.

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