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Stanley Park © Christelle Marot

La ville de naissance de Greenpeace s’est engagée il y a dix ans dans un ambitieux programme pour devenir « la plus verte » en 2020. Comment cette transition a-t-elle été possible dans une Amérique du Nord si vorace en ressources naturelles ?

En septembre 1971, douze militants quittent le port de Vancouver à bord d’un vieux bateau de pêche, le Phyllis Cormack, en direction d’Amchitka en Alaska pour protester contre les essais nucléaires. A leur bord, quelques-uns des futurs fondateurs de Greenpeace : Jim Bohlen, Paul Cote et Irving Stowe. Près de cinquante ans plus tard, cette mégalopole de 2,3 millions d’habitants située à l’extrême Ouest du Canada cultive cet héritage vert. « C’est une ville spéciale, explique Tom, la soixantaine, appuyé sur son vélo, avec une mentalité écologique, bien différente de celle du reste du pays. Les habitants sont très connectés à la nature qui n’est jamais bien loin. Il y a l’océan Pacifique devant nous, la montagne à quelques minutes ». Une ville spéciale qui ambitionne d’être la ville la plus verte au monde en 2020. Une « mentalité écolo » qui a porté au poste de maire, fin 2008, Gregor Roberston. Cet ancien exploitant agricole bio et créateur d’une marque de jus de fruits se fait élire sur la promesse de faire de Vancouver la ville la plus verte du monde…

Dès 2009, six ans avant la signature de l’accord de Paris, il lance Greenest City 2020 Action Plan, en impliquant les habitants dans son élaboration. Avec à la clé une feuille de route comprenant dix objectifs portant sur le développement d’une économie verte, la neutralité carbone (énergies renouvelables, transports et habitat), le zéro déchet et les écosystèmes performants (espaces verts, qualité de l’eau et de l’air, production alimentaire locale).

A l’aube de 2020, l’heure est au bilan. Et celui-ci est éloquent. Les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 12% entre 2007 et 2018 atteignant 2,44 millions de tonnes équivalent CO2. A titre de comparaison, Brisbane en Australie (2,28 millions d’habitants) a émis 6,5 millions de tonnes équivalent CO2 en 2012 et vise 3,5 millions de tonnes équivalent CO2 en 2031. Dans le bâtiment en particulier, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 11 % depuis 2007 (dont -43 % pour les constructions neuves, en fixant notamment la norme Leadership in Energy and Environmental Design (LEED) niveau Gold). Quant à l’empreinte écologique par habitant, qui elle se mesure en surface, elle a diminué de 20 % entre 2006 et 2015, pour atteindre 3,40 hectares.

Dans son bureau au 7ème étage du City Hall, avec vue panoramique sur les gratte-ciel du centre-ville, Doug Smith, directeur du développement durable de la ville, se réjouit : « 70 % des objectifs sont sur les rails. Dans le transport en particulier, nous avons atteint notre objectif avec cinq ans d’avance ». La distance annuelle parcourue en voiture par personne (3 690 kilomètres) a été réduite de 38 % entre 2007 et 2018, bien au-delà de l’objectif visé de moins 20 %. Vancouver a notamment exigé des promoteurs qu’ils augmentent dans les parkings la place consacrée aux véhicules et vélos partagés. Dans le même temps, autour des écoles, des hôpitaux, des centres communautaires, les infrastructures piétonnes, places, rues, rampes, se sont développées pour plus d’accessibilité et de sécurité. « Il faut se rappeler que Vancouver s’est construite autour de la voiture, à l’opposé des villes européennes qui sont pensées pour les piétons. C’est une contrainte urbanistique forte. Malgré cela, la ville est aujourd’hui l’une des villes les plus vertes au monde », assure Doug Smith. Difficile de le vérifier tant les classements diffèrent selon les méthodologies adoptées. Selon le Global Green Economy Index (CGEI) 2016, du cabinet Dual Citizen LLC, Vancouver arrive en troisième position des villes perçues comme les plus vertes au monde derrière Copenhague et Stockholm. Selon The Economist Intelligence Unit, Vancouver est une des villes au monde les plus « agréables à vivre », la sixième en 2018, derrière Vienne, Melbourne, Osaka, Calgary et Sydney. Mais pour le cabinet conseil Arcadis, Vancouver se classe en 17ème position seulement en 2018 pour son sous index Planète et en 4ème position sur le continent américain, derrière Montréal, Ottawa et Toronto.

Chauffage à l’égout

Dans le quartier de Southeast False Creek, qui a accueilli le village olympique en 2010, ce sont les égouts qui chauffent et alimentent en eau chaude un réseau de 33 immeubles connectés, un mini campus, un gymnase et un musée, soit près de 15 000 personnes, grâce à une usine de production de chaleur. Les eaux noires filtrées arrivent autour de 20°C, sont envoyées vers la pompe à chaleur qui en extrait 5°C, puis repartent autour de 15° vers la station d’épuration. La chaleur extraite par la pompe est, elle, transférée dans le système de distribution d’eau. « Remporter l’organisation des J.O. de 2010 a été un coup de fouet. Il fallait construire un village olympique propre, autosuffisant d’un point de vue énergétique. On a travaillé sur la conception des immeubles et on a développé un système de réseaux de chaleur mixte basé sur la récupération des eaux usées », explique Alex Charpentier, ingénieur énergie à la ville. Outre Vancouver, seuls la Suède et le Japon ont développé de tels réseaux. Une question de coûts, – une pompe à chaleur de 3 mégawatts est cinq à dix fois plus chère qu’une chaudière à gaz -, et de masse critique. « Le but de notre système est que 70 % de notre énergie distribuée dans le quartier en chauffage et eau chaude soit propre », précise l’ingénieur. En 2025, une nouvelle usine multipliera par trois la surface urbaine chauffée par les égouts, pour atteindre 27 % de la surface du centre-ville.

Il est 18h à Vancouver, les bureaux se vident, chacun commence à rentrer chez soi, mais dans la ville, le trafic reste étonnamment fluide. C’est l’une des grandes satisfactions de la municipalité. Aujourd’hui, plus de la moitié des trajets se font à pied, en vélo ou en transport public (à titre de comparaison, à Clermont Ferrand, ville de 142 000 habitants, 61 % des trajets se font en voiture). En parallèle, le nombre de kilomètres parcouru en voiture par personne en 2018 a diminué de 38 % par rapport à 2007. Depuis l’ouverture à Vancouver de la première concession du constructeur américain Tesla à l’automne 2018, les ventes de véhicules électriques s’envolent, elles ont augmenté de 15 %, et représentent désormais 5 % du total des nouvelles ventes de voitures. Le marché des VE reste toutefois encore inférieur à 1 %. Vancouver compte aujourd’hui plus de 300 bornes de recharge électrique situées dans les parcs de stationnement et sur les trottoirs de la ville. Par ailleurs, plus de 25 000 bornes de charge à domicile ont été installés entre 2014 et 2018. « Nous voulons mettre des bornes de recharge électrique à 10 minutes de route de tous les habitants et dans notre nouveau code de la construction, tous les parkings résidentiels devront être équipés. Les aides sont aussi très incitatives. Lorsque vous troquez votre véhicule à moteur thermique pour une voiture électrique (dont le prix de vente n’excède pas 55 000 $CAD), vous recevez 6 000 dollars canadiens de la ville, 5 000 $CAD de la province et 5 000 $CAD du gouvernement fédéral, soit 16 000 $CAD (environ 11 000 euros) pour acheter une voiture électrique ! Nous ne sommes pas aussi bons que la Norvège, mais c’est quand même pas mal ! », souligne Doug Smith.

 

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© Stéphanie Nedjar

Dans le parc Stanley, troisième plus grand parc urbain d’Amérique du Nord, cyclistes et marcheurs serpentent autour du « Lost Lagoon », qui offre un refuge naturel pour les oiseaux. Entre 2010 et 2018, 27 hectares de zones naturelles ont été ajoutés. Sur la même période, afin de refroidir la ville et protéger la côte, 122 000 arbres ont été plantés, soit 80 % de l’objectif 2020 atteint. Vancouver expérimente également depuis l’été 2018 dans un quartier du sud-ouest un dispositif naturel de récupération et de gestion des eaux de pluie, en utilisant l’inclinaison des sols et en plantant de nouvelles espèces d’arbres et de massifs végétaux. « 70 % des pluies régulières et 20 % des pluies plus abondantes de cet ilot sont absorbées par ce système et n’encombrent donc pas le réseau d’égouts. C’est de l’adaptation alors que la ville connaît des tempêtes de plus en plus fortes. Nous sommes en train de réfléchir à des projets similaires le long des grosses artères et le long de la ligne de métro », indique Cameron Owen, planificateur d’infrastructures vertes à la ville.

Sacro-Saint Pick-up…

Mardi matin, aux abords du parc Stanley, dans le quartier résidentiel de West End, c’est jour de la collecte des déchets. Bacs gris, verts, bleus, et sacs en papier kraft sont alignés. Dès 2015, les déchets alimentaires ont été bannis des sacs poubelle. L’objectif est double : diviser par deux les déchets non recyclables entre 2008 et 2020, et réduire les émissions de gaz à effets de serre liées à la fermentation des déchets organiques avant incinération. L’objectif n’est pas encore tout à fait atteint, mais la municipalité entend déjà mettre la barre plus haut : zéro déchet non recyclable en 2040. Pour se faire, trier ne suffira pas : il faudra aller vers une économie plus circulaire et entend soutenir le mouvement.  Linh Truong, qui a ouvert en 2011 le premier commerce de vente en vrac de Vancouver, The Soap Dispensary, témoigne : « Lorsque j’ai ouvert, Vancouver venait d’annoncer ses objectifs verts et cela a joué un rôle certain. Si la demande croît, c’est que l’environnement y est favorable ». Le magasin en est à son deuxième agrandissement. Le gouvernement local a par ailleurs assoupli les règles sanitaires encadrant la fabrication de bière dans les brasseries, ce qui rend la commerçante optimiste quant au développement de sa propre activité. « Après les cosmétiques et les détergents, puis les produits d’épicerie, les commerces de vente en vrac pourront sans doute bientôt pouvoir proposer des produits frais », indique-t-elle. Découpler la prospérité économique de la génération de déchets, c’est exactement ce que souhaitent les édiles.

La ville s’est également fixé un objectif en matière de production locale. Jardins partagés, marchés de petits producteurs, fermes urbaines, sont encouragés et dument recensés. 3 344 structures en 2010, 4 960 aujourd’hui, l’objectif d’une hausse de 50 % en 10 ans est presque atteint. La municipalité ne mise pas en revanche sur les toits terrasses végétalisés pour la séquestration du carbone « Même si tous les immeubles de la ville étaient végétalisés, tempère Doug Smith, cela ne sera jamais suffisant ».

Afin de participer à limiter la hausse de la température à 1,5°C comme les Accords de Paris le préconisent, l’empreinte carbone de la ville devra diminuer de moitié d’ici 2030 et être réduite à zéro en 2050 au plus tard « Pour relever le défi, il faudrait notamment pouvoir reboiser en dehors de la ville, une idée controversée car c’est utiliser l’argent des habitants de Vancouver au profit d’autres communautés, relève Doug Smith. On peut aussi y voir l’opportunité d’une réconciliation avec les Premières Nations qui vivent sur ses terres et qui ont été spoliées plus souvent qu’à leur tour. »

L’interdépendance. C’est probablement là que résident à la fois les prochaines contraintes et opportunités de Vancouver, qui pour aller plus loin doit compter sur l’engagement de tous – habitants, promoteurs, autres provinces. Comment convaincre le contribuable de l’intérêt d’investir hors des frontières de la ville ? Comment contraindre ceux qui ont fait le choix d’un habitat résidentiel dans des quartiers périphériques calmes, mais sans commerce, de revenir en centre-ville et de se passer ainsi de leur sacro-saint pick-up ? Comment peser sur les programmes immobiliers pour que les luxueuses demeures de Kitsilano ou West End soient progressivement remplacées par des immeubles de quelques étages ? Comment empêcher le prolongement du Trans Mountain, cet oléoduc qui transporte du pétrole extrait des sables bitumineux de la province voisine, l’Alberta, et qui conduirait à multiplier par sept le trafic maritime dans la baie de Vancouver ? La terre de naissance de Greenpeace a beau avoir de l’avance, elle n’est pas encore arrivée à bon port.

Christelle Marot et Stéphanie Nedjar

 

 

 

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