Les insectes au secours de la santé et de l’environnement

Des criquets grouillent sur un arbre au sud de la ville de Lodwar, au nord du Kenya, le 23 juin 2020. © Boris Polo/AP/SIPA

Jeune Afrique

Consommés dans certains pays mais rejetés dans d’autres, les insectes et autres chenilles possèdent des caractéristiques nutritionnelles intéressantes et offrent une réponse séduisante aux contraintes climatiques et agricoles.

Quel régime alimentaire durable pour l’Afrique demain ? Tandis que le changement climatique, la perte de biodiversité, la pression exercée sur les terres agricoles accentuée par la croissance démographique menacent la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations sur le continent, la consommation d’insectes et de larves en Afrique, solution locale, écologique et très nutritive, est encouragée.

Contrairement à l’Europe, où l’entomophagie est balbutiante et perçue comme une fantaisie marketing, manger des insectes est courant et traditionnel dans nombre de pays du Sahel, et surtout en Afrique centrale et dans le nord de l’Afrique australe.

« Au Niger, au Mali, mais aussi en Algérie ou en Libye, les gens ont l’habitude de consommer des sauterelles et des criquets grillés, en grignotage comme des cacahuètes, et d’en donner aux animaux. Chez les Touaregs, c’était l’une des composantes alimentaires de base. Les sauterelles grillées étaient pillées avec des dattes et cela formait un aliment consistant, très riche en nutriments, que l’on parvenait à garder très longtemps pour voyager dans le désert », rappelle Abdou Ka, anthropologue de l’alimentation à l’université Assane Seck de Ziguinchor et chercheur associé à l’UMI Environnement, santé, sociétés du CNRS.

Source de protéines

La consommation d’insectes et de larves offre de grands bénéfices à la fois sur la santé et l’environnement. Les insectes sont en effet très riches en protéines (un taux très souvent supérieur au bœuf, poulet, porc), mais aussi en fer, zinc, sels minéraux, lipides. Les élevages d’insectes consomment par ailleurs beaucoup moins d’eau, ne nécessitent pas autant de terre que les élevages conventionnels, de bœufs notamment, émettent moins de gaz à effet de serre.

Parce qu’ils ont le sang froid (donc moins énergivore pour réguler la température corporelle), les insectes sont aussi généralement très efficaces dans les taux de conversion des aliments en viande. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), pour produire un kilo de protéines animales issu du bœuf, il faudra apporter 10 kg de protéines végétales, contre 1,7 kg d’aliments nécessaires pour produire 1 kg de sauterelles.

« Les insectes ont toujours fait partie de l’alimentation humaine et constituent actuellement une source d’aliments nutritifs bon marché et accessible, qui complète l’alimentation d’environ deux milliards de personnes, principalement en Asie, en Afrique et en Amérique latine », souligne le docteur Maria Antonia Tuazon, responsable insectes comestibles à la division nourriture et nutrition de la FAO.

Chenilles, termites, criquets et grillons

Ces bienfaits pour la santé, les populations d’Afrique centrale et australe l’ont bien compris. Au Cameroun, au Gabon, au Congo Brazzaville, en République démocratique du Congo (RDC), en Centrafrique, au Nigeria, ou encore au Zimbabwe, elles consomment abondamment larves de charançon, chenilles Mopané, termites, criquets, grillons, punaises vertes.

« En Centrafrique notamment, les chenilles sont collectées dans la nature par centaines de tonnes. Les femmes disent préférer acheter un kilo de chenilles plutôt qu’un kilo de bœuf, même si c’est plus cher, parce que cela nourrit plus de monde et plus efficacement ; cela amène une plus grande satiété. Les mères donnent à leurs enfants, après qu’ils ont quitté le régime lacté, des bouillies qui sont des mélanges de farine et de chenilles, car très protéinées », indique Philippe Le Gall, entomologiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

« Au Cameroun, les larves de charançon sont fortement prisées, soit pour la consommation locale, soit pour l’export. On a parfois même du mal à en trouver sur les marchés. C’est un aliment comme les autres, qui fait partie du réseau économique de ces régions, comme la viande de brousse ou certains poissons », ajoute le chercheur.

Les chenilles sont récoltées à la fin de la saison des pluies, entre juin et novembre, selon que l’on se situe au Cameroun ou au Zimbabwe, au terme de leur cycle larvaire, lorsqu’elles descendent le long des troncs des grands arbres pour se transformer en cocon. Les larves de charançon qui vivent sur les palmiers raphia, elles, sont accessibles quasiment toute l’année.

Durant ces périodes d’abondance, les familles en consomment beaucoup pour faire des réserves de protéines et de lipides. Les larves de charançon de palmier ont un goût de beurre d’arachide, ou peuvent ressembler à des escargots lorsqu’ils sont cuisinés en sauce. Les termites ont un goût de noisette très prononcé, les chenilles une saveur plus végétale et de lipide comme un beurre de cacahuète. La farine de grillons entre quant à elle dans la fabrication de biscuits.

Vers une industrie d’un milliard de dollars

En Afrique centrale et australe, des élevage familiaux et industriels de chenilles et de larves ont vu le jour, notamment en Afrique du Sud et au Kenya. Au Cameroun, au sud de Yaoundé, des micro-entrepreneurs se forment à l’élevage durable de larves de charançon de palmier, en assurant la régénération des arbres.

Jusqu’alors, les villageois dans certaines régions du Cameroun avaient l’habitude d’abattre des palmiers pour inciter les charançons à s’y reproduire. Un coût environnemental énorme. Dans cette partie de l’Afrique, la déforestation pour des usages agricoles ou pour les besoins de l’industrie minière menace. Ces fermes d’élevage, familiales, sont soutenues par la recherche camerounaise, française et par l’Agence française de développement (AFD). Une tige de raphia dans une boîte permet de produire 276 larves soit 8 fois plus que la méthode traditionnelle de collecte, indique l’IRD.

Par ailleurs, « sauvages ou élevées, les larves de charançon de palmier ont les mêmes qualités nutritionnelles », précise Philippe Le Gall. Au Kenya, un grand projet porté par le centre Africa Centre of Excellence in Sustainable Use of Insects as Food and Feeds (Insefoods) de l’Université de sciences et technologie (Jooust), et soutenu par la Banque mondiale, vise à promouvoir l’élevage et la consommation d’insectes en Afrique. « L’élevage d’insectes nécessite des dépenses techniques minimales et un équipement de base pour la récolte », pointe Maria Antonia Tuazon. Les insectes comestibles représentent d’ailleurs une industrie qui devrait atteindre près d’un milliard de dollars au cours des prochaines années. Une piste prometteuse pour l’alimentation humaine ou animale.

« Afriques de l’alimentation »

Pour autant, si manger des sauterelles au Niger ou des larves au Cameroun est un bienfait pour la santé et chose courante, en revanche « il y a des Afriques de l’alimentation, qui sont très différentes, voire opposées d’une région à l’autre. Au Sénégal, par exemple, c’est une pratique considérée comme répugnante que les gens croient interdite par le Coran. C’est aussi perçu comme un plat de pauvres, archaïque », relève Abdou Ka.

Dans les villes, les jeunes et la classe moyenne se tournent davantage vers les plats occidentaux, type fast-food ou riz importé, quitte à consommer des plats moins intéressants au niveau nutritif. « Il y a encore un gros travail à faire pour déconstruire cette représentation négative des insectes dans certains pays et pour expliquer aux gens l’importance des nutriments », conclut l’anthropologue.

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