États membres et collectivités : la budgétisation verte gagne du terrain
Enjeux

Les pays de l’Union européenne sont appelés à aligner leurs dépenses et recettes sur les objectifs climatiques et environnementaux de l’Accord de Paris. D’autant que le plan de relance post-Covid Next Generation EU conditionne le versement de 37% des fonds européens au respect d’engagements nationaux en faveur de l’environnement. Les collectivités locales commencent à adopter cette démarche, en dépit des spécificités fiscales et organisationnelles.
Dans le sillage de la France, qui a présenté son second budget vert en 2021, les États membres de l’UE se mettent au diapason, sommés de justifier l’impact de leurs plans nationaux de relance post-Covid sur l’environnement pour pouvoir bénéficier des fonds européens. Pionnière et exemplaire, la France fait des émules : l’Italie, la Finlande, l’Irlande. Ses travaux en matière de budgétisation verte sont également repris en très grande partie par la Commission européenne.
« Le budget vert français est très détaillé, il traite de plusieurs dimensions environnementales de façon très désagrégée. On a des informations qui sont quasiment au niveau de la sous-action budgétaire. Le climat est traité au niveau adaptation et atténuation, les lignes budgétaires mentionnent la biodiversité, les impacts sur l’eau, sur les sols, la pollution de l’air. On sait par exemple que telle ligne de chemin de fer aura un impact positif ou négatif sur les sols, que telle route aura un impact positif ou négatif pour le climat. Ce qui est tout à fait novateur et permet de comprendre les choix politiques, de les commenter, de les reprendre efficacement », relève Sébastien Postic, directeur de projet finance publique, climat et développement à l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). La France a ainsi été la première à traiter l’impact des dépenses négatives et des taxes sur l’environnement.
L’étiquetage français capture les contributions favorables, défavorables, mixtes ou neutres à six objectifs environnementaux : atténuation du changement climatique, adaptation au climat et prévention des risques naturels, gestion de l’eau, gestion des déchets et économie circulaire, lutte contre les pollutions, protection de la biodiversité. L’annexe verte du projet de Loi de finances initiale (PLF) couvre à la fois les informations budgétaires et les stratégies politiques, le financement public et privé de la transition écologique, comportant également une évaluation de la politique fiscale et son impact sur le pouvoir d’achat des ménages et sur les coûts de production et les marges des entreprises.
« La France s’appuie largement sur la taxonomie verte européenne et l’analyse d’impacts, plus que sur les Marqueurs de Rio, autre méthodologie axée sur les objectifs. C’est une distinction importante car une dépense négative du point de vue climat ne va jamais avoir d’objectif anti-climat. Il n’y a pas de dépenses dans le monde qui a pour visée d’émettre des gaz à effet de serre », pointe Sébastien Postic.
Outre la France, l’Irlande, la Finlande et l’Italie, l’Autriche, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas sont les plus avancés en Europe en matière de budgétisation verte. « Malte, la Hongrie et surtout l’Espagne se sont également engagés dans le processus récemment, déchiffrent les obstacles », indique Sébastien Postic.
A la demande de l’Union européenne, l’I4CE forme en effet actuellement une vingtaine de pays européens aux méthodes du budget vert, essentiellement basées sur les méthodes françaises. Un exercice très technique, qui requiert des données de très bonne qualité et désagrégées. « Mais beaucoup de pays n’ont pas ce niveau de détail budgétaire », souligne Sébastien Postic.
La démarche requiert aussi d’avoir des services ministériels alliant expertises budgétaires et environnementales, ainsi qu’une stratégie nationale claire et précise qui cible les dépenses et recettes environnementales. La Commission européenne entend par ailleurs renforcer sa coopération avec les États membres afin de permettre à ces derniers d’estimer la part verte de leur contribution annuelle au financement de l’Union européenne.
Un budget vert pour les collectivités
Les collectivités territoriales, elles aussi, devront à terme s’emparer du sujet. Elles sont pour l’heure peu nombreuses à le faire : Clermont Ferrand, le conseil départemental de la Mayenne, Venise, la région Andalousie notamment. Mais les choses pourraient changer rapidement aussi de ce côté. Le Comité européen des régions (CdR) a en effet été saisi par le Conseil de l’Union européenne, lors de la présidence française de l’UE, de la question des budgets verts, afin d’évaluer des projets de législation future.
« Notre travail est d’essayer de dégager des principes communs, des normes comptables, des typologies de présentation de budgets qui puissent être facilement applicables dans les collectivités, prouvés et comparables de communes à communes, de régions à régions », indique Vincent Chauvet, maire d’Autun, commune de 13 000 habitants, et membre rapporteur au CdR sur la budgétisation verte pour le groupe Renew.
Dans l’immédiat, le plus simple et abordable pour les collectivités serait d’établir leur bilan carbone et objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, comme le font aujourd’hui les collectivités au Japon ou en République dominicaine. La prise en compte de la biodiversité est une autre paire de manches, un vaste sujet, dont l’impact est plus difficile à mesurer. Cela nécessiterait en effet de connaitre les stocks de biodiversité et d’avoir recours à des compétences environnementales pointues, comptables, etc. Compétences et budgets que sont loin de détenir les petites communes françaises. Des solutions fondées sur la nature, type fleurissement, éco-pâturage, lutte contre l’artificialisation des sols, restauration des zones humides…pourraient néanmoins être menées à une échelle modeste.
« Là où il va y avoir difficulté c’est sur le sujet de la fiscalité. Les collectivités territoriales européennes n’ont pas toutes les mêmes ressources fiscales. En France, les communes n’ont plus que la taxe foncière. Dans d’autres pays, elles ont davantage de ressources et se voient reverser pour certaines, le Danemark par exemple, une grande partie de l’impôt sur le revenu. Dans un premier temps, il s’agit donc de se focaliser sur les dépenses vertes des collectivités seulement, sur leur impact carbone. Pour les recettes, cela viendra plus tard », souligne Vincent Chauvet. « Pour que ce soit efficace et appliqué, il ne faut pas que ces budgets verts deviennent une complexité administratives et en ingénierie pour les collectivités », ajoute le maire d’Autun.
Dans l’Union européenne, environ 70% des mesures d’adaptation et d’atténuation sont prises par les collectivités. Vincent Chauvet, qui représente le groupe Renew, plaide donc pour que l’Union européenne puisse flécher les fonds verts à destination des collectivités directement, sans intermédiaire, que ce soit dans le cadre du Green Deal ou du plan de relance Next Generation.
Une façon de passer outre des gouvernements qui se montreraient conservateurs voire sceptiques aux plans environnemental et social. Autre sujet très concret et efficace qui permettrait de verdir les budgets des collectivités : les subventions qui pourraient être accordées à la mise en place de chauffages urbains de moins en moins carbonés.
Actuellement, la plupart des systèmes de chauffage urbain, postes de dépenses très lourd pour les collectivités européennes, fonctionnent au charbon ou au gaz, deux combustibles fossiles qui devront être éliminés progressivement pour que l’UE puisse atteindre son objectif de neutralité climatique d’ici à 2050. La taxonomie sur la finance durable de l’UE, qui vise à stimuler les investissements et les dépenses vertes, encourage ainsi le recours au gaz, à faible teneur en carbone et renouvelable comme l’hydrogène ou le biométhane.
Ces systèmes de chauffage urbain qui courent sur des dizaines de km2 sont très différents. Certains fonctionnent au bois ou au gaz, sont très vétustes. D’autres usent de la chaleur produite par les entreprises, à partir de combustibles solides de récupération (CSR), font de la cogénération électrique, etc. La Commission européenne demande qu’une classification et des normes pour ces chauffages urbains soient arrêtées dans les cinq prochaines années.
« L’Union européenne pourrait donc à terme subventionner les localités engagées dans le verdissement de leurs réseaux sur la base d’indicateurs spécifiques, sur le taux d’emploi de ressources locales, sur le taux de cogénération de chaleur et électrique qui utilise rationnellement l’énergie, le recours au biogaz… », souligne Vincent Chauvet.
Environ 60 millions d’Européens sont raccordés au chauffage urbain et 140 millions vivent dans des villes qui sont équipées d’au moins un réseau de chaleur, indique l’Observatoire des réseaux de chaleur et de froid. C’est en Allemagne que le secteur est le plus important, devant la Pologne et la Suède, Ces réseaux chauffent les écoles, les hôpitaux, les logements sociaux, les bibliothèques… C’est dire si les enjeux sont importants.