Développer les protéines du futur : les farines d’insectes

Enjeux

Invasion de criquets (DR)

L’Union européenne accélère la mise sur le marché des insectes à destination de l’alimentation animale et humaine. Le secteur des insectes est désormais considéré comme clé pour soutenir la transition écologique et l’alimentation durable.


Le changement climatique, les écosystèmes perturbés, mais aussi la pandémie de Covid-19 menacent les récoltes et l’accès aux denrées alimentaires dans le monde. Que mangera-t-on demain ? Pour les scientifiques et les nutritionnistes, les insectes et notamment les sauterelles, criquets, larves, chenilles sont une solution crédible et bénéfique. Les insectes sont en effet très riches en protéines, mais aussi en fer, zinc, sels minéraux, lipides. Ils consomment beaucoup moins d’eau, ne nécessitent pas autant de terre que les élevages conventionnels, de bœufs notamment, et émettent bien moins de gaz à effet de serre.

Parce qu’ils ont le sang froid (donc moins énergivores pour réguler la température corporelle), les insectes sont également généralement très efficaces dans les taux de conversion des aliments en viande. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), pour produire un kilo de protéines animales issu du bœuf, il faudra apporter 10 kg de protéines végétales, contre 1,7 kg d’aliments nécessaires pour produire 1 kg de sauterelles (Edible insects, Future prospects for food and feed security, FAO Forestry paper, 2013).

« Les insectes ont toujours fait partie de l’alimentation humaine et constituent actuellement une source d’aliments nutritifs bon marché et accessible qui complète l’alimentation d’environ 2 milliards de personnes, principalement en Asie, en Afrique et en Amérique latine », souligne le docteur Maria Antonia Tuazon, responsable insectes comestibles à la division nourriture et nutrition de la FAO.

En France et en Europe, des sociétés investissent ces protéines du futur. « Avec les insectes, on est quasiment en train de créer une nouvelle catégorie pour l’alimentation humaine et animale grâce à la recherche effectuée dans le monde ces dix dernières années. C’est brillant. C’est comme si un nouveau soja émergeait », s’enthousiasme Mohamed Gastli, co-fondateur et directeur général de NextProtein, société franco-tunisienne spécialisée dans l’élevage de larves de mouches soldat noir destinées à l’alimentation animale. La farine d’insectes produite par NextProtein est principalement vendue en Europe, où le marché est très réglementé, à destination de l’aquaculture et pour l’alimentation des animaux de compagnie.


Accélération en faveur de l’alimentation animale


A destination des animaux domestiques et pour l’aquaculture, la fabrication d’aliments à base d’insectes est le marché le plus avancé, sur lequel se positionnent des entreprises européennes comme Ÿnsect (français), NextProtein (franco-tunisien), Protix (hollandais)… et aussi américaines. Le français Ÿnsect, spécialiste du ver Molitor, a ainsi levé des financements records en 2019 et 2020 pour un total de plus de 310 millions d’euros afin de développer l’une des plus grandes fermes verticales au monde.


Selon une étude de la Rabobank, institution financière néerlandaise, le marché mondial des protéines d’insectes destinées à l’alimentation animale devrait atteindre 500 000 tonnes d’ici 2030 (dont 40% pour l’aquaculture), contre 10 000 tonnes aujourd’hui. A destination de l’alimentation humaine en revanche, le marché européen se développe beaucoup plus lentement. Ceci en raison de réticences culturelles, mais aussi car la loi freine le développement. Les insectes sont considérés comme de nouveaux aliments et doivent obtenir une autorisation de mise sur le marché. Ce qui n’empêche pas certaines entreprises d’en proposer à leurs clients. Le cas de Micronutris à Toulouse qui produit des gâteaux apéritifs, des barres énergétiques ou des pâtes à base de grillons et de coléoptères.


Un marché très règlementé

Sur ce marché européen très règlementé, l’International Platform of Insects for Food and Feed Association (IPIFF), le lobby des insectes comestibles à Bruxelles, tente de peser pour ouvrir de nouveaux marchés et se réjouit de plusieurs avancées significatives ces derniers mois. Les protéines d’insectes autorisées dans l’alimentation des poissons d’élevage depuis le 1 juillet 2017 le sont ainsi désormais depuis le 7 septembre 2021 dans l’alimentation des porcs et des volailles.


« Pour l’alimentation humaine, la réglementation telle qu’elle existe aujourd’hui n’est pas complètement adaptée aux spécificités de notre filière. On appuie les producteurs d’aliments à base d’insectes dans le dépôt de dossiers de demande d’autorisation « novel food » auprès de la Commission européenne, pour démontrer l’innocuité du produit à commercialiser. Notre travail consiste aussi à collaborer avec la Commission européenne afin d’adapter dans la mesure du possible les dispositions réglementaires qui existe en la matière », souligne Christophe Derrien, secrétaire générale de l’IPIFF.


Les nouveaux aliments sont des aliments ou des ingrédients non consommés dans l’Union européenne avant le 15 mai 1997, date d’entrée en vigueur de la 1ère législation relative aux nouveaux aliments. Ils peuvent être d’origine végétale, animale ou issus de la recherche scientifique et technologique, mais également consommés traditionnellement en dehors de l’UE. Les producteurs d’aliments à base d’insectes sont soumis à une réglementation générale, notamment le règlement 178 2002 qui fixe les bases en matière en matière de sécurité alimentaire, et sont soumis aux règles issues du paquet hygiène, comme celles du règlement 178 2002 développées au début des années 2000. Pour la commercialisation à destination de l’alimentation humaine, les producteurs doivent en outre obtenir une autorisation spécifique.


« Typiquement, dans la réglementation hygiène aujourd’hui pour l’alimentation humaine, notamment dans le règlement 853 2004, des standards spécifiques s’appliquent en fonction des catégories de produits concernés, pour les ruminants et les non ruminants…et ce que nous souhaitons c’est le développement d’une section spécifique dans ce règlement, qui vienne préciser des règles d’hygiène particulières pour notre secteur », indique Christophe Derrien.


Mise sur le marché européen d’un insecte comestible : une décision historique


Si l’ouverture de nouveaux marchés est plus lente que pour l’alimentation animale, l’année 2021 restera néanmoins une période charnière pour le secteur. L’Union européenne de sécurité des aliments (Efsa) a rendu le 13 janvier pour la première fois un avis favorable à la mise sur le marché européen en tant que nouvel aliment des vers de farine jaunes séchés (larves du coléoptère Tenebrio Molitor). Et suivant l’avis de l’Efsa, les Vingt-Sept ont autorisé le 4 mai 2021, pour la première fois, la mise sur le marché d’insectes en tant qu’aliments, estimant qu’ils pouvaient être consommés sans danger soit sous forme d’insecte entier séché comme collation, soit sous forme de poudre dans des produits protéiques, biscuits ou produits à base de pâtes. Une dizaine d’autres demandes de mise sur le marché pour des insectes comestibles ont été soumises à l’Union européenne. L’Efsa se penche notamment sur les sauterelles et les grillons.

Pour l’IPIFF, la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » sera un puissant accélérateur pour le développement de la filière des insectes comestibles vers un système alimentaire durable et résilient, avec l’objectif d’atteindre 25% des terres agricoles en agriculture biologique d’ici 2030. Dans ce document stratégique, la Commission européenne identifie le secteur insectes comme un secteur clé qui pourrait constituer une source de protéines de substitution limitant l’apport de matières premières comme le soja. Et afin de répondre à la demande croissante pour les produits biologiques, le développement de standards européens pour la certification organique des produits à base d’insectes doit être encouragé, pointe l’IPIFF.

« Notre démarche est d’œuvrer au maximum pour que la réglementation européenne soit suffisamment compréhensible et développée pour pouvoir permettre aux opérateurs d’avoir un cadre suffisant. L’hygiène, la santé alimentaire sont des sujets très réglementés. On n’est pas forcément dans une démarche de normalisation. Pour autant sur certains sujets comme la possibilité d’utiliser du frass, c’est-à-dire des déjections d’insectes pour le compost, il n’est pas nécessaire de réglementer au niveau européen en tant que tel, alors qu’il existe des dispositions générales en France. En revanche, il y a eu des discussions sur l’opportunité peut être de développer un standard national sur l’utilisation de frass d’insectes dans le compostage. Sur l’alimentation humaine, des standards pourraient aussi émerger, technologiques ou de qualité sur certains produits », ajoute le secrétaire général de l’IPIFF.

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