Maroc: Génération Renault

L’Express

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Près de 4 000 salariés ont intégré l’usine Renault à Tanger. Ils seront bientôt 6 000. Jeunes -25 ans en moyenne- ils accompagnent les débuts d’une ère nouvelle dans l’industrie automobile.

 

Il est un peu plus de 14 heures dans l’immense hangar gris où se fait le montage. C’est l’heure où les équipes se relaient, où les ouvriers du matin, fatigués et satisfaits, rentrent chez eux. Avant de rejoindre leurs postes de travail, une dizaine de jeunes gens exécutent lentement des mouvements de gymnastique et d’assouplissement, inspirés des méthodes pratiquées dans l’industrie japonaise. Depuis quelques mois, l’usine Renault de Tanger,  flambant neuve, fabrique le Lodgy, le premier monospace à bas coût de la firme au losange. Le véhicule, produit uniquement au Maroc, est vendu autour de 10 000 euros. Inauguré en février 2012, le site de Melloussa, qui nécessitera au total près de 1 milliard d’euros, fabrique également le Dokker, un petit utilitaire de la gamme Dacia.

Le choix de Tanger offrait plusieurs avantages : la proximité du complexe portuaire de Tanger Med, les exonérations fiscales liées au statut de la zone franche. Le constructeur automobile ne paiera pas d’impôts pendant cinq ans. Il  se verra appliquer ensuite un impôt à taux réduit de 8,75% (au lieu du taux normal de 35%) pendant vingt ans. Renault est également exonéré de la taxe d’exportation.

A l’emboutissage, un opérateur se saisit d’un bras robotisé, insecte géant dont les pinces trouent en cadence des pièces métalliques. Plus loin, sur la chaine, des étincelles jaillissent. Pour réaliser les points de soudure sur chaque caisse de voiture, les équipes ont à peine deux minutes. Il faut éviter de ralentir les cadences. Renault Tanger sort aujourd’hui entre 20 et 25 véhicules par heure. Grâce à sa seconde ligne de production, attendue fin 2013, l’usine pourra fabriquer 60 véhicules par heure, en 3 x 8, soit environ 370 000 unités par an. Des voitures destinées à être exportées en grande partie vers l’Europe et la région Méditerranée.

L’usine emploie 4 000 personnes et devrait atteindre rapidement les 6 000 salariés. Un défi humain est considérable : jusqu’au mois d’août, près de 150 nouvelles recrues par semaine ont été embauchées. A l’entrée du site, l’Institut de formation aux métiers de l’industrie automobile (IFMIA) tourne à plein régime. Le degré de robotisation d’une usine dépend de la cadence et de la gamme de véhicules produits.  « Les tâches manuelles sont nombreuses ici, notamment à la tôlerie et au montage », souligne Tunç Basegmez, le directeur de l’usine. Mais nous  sommes aussi conçus pour être l’une des usines les plus compétitives du groupe dans le monde. Notre objectif  est de fabriquer des voitures simples, fiables, solides, abordables par le plus grand nombre ». Ancien responsable de l’usine de Bursa, près d’Istanbul, Tunç Basegmez a fait ses premiers pas dans le groupe il y a une trentaine d’années. Renault Tanger est une usine jeune, où l’âge moyen des salariés avoisine les 25 ans. De nombreuses nationalités s’y côtoient : Français, Espagnols, Roumains, Turcs, Japonais. Les plus haut cadres sont des expatriés recrutés pour le démarrage et transmettre le savoir faire. Ils seront remplacés progressivement par du management local.

Au contrôle qualité, Samira, 24 ans, vérifie de la paume de la main si les carrosseries des véhicules ne présentent pas de défauts, creux ou bosses. Accroché sur un tableau, sa feuille d’opérations détaille en français les manipulations à effectuer. Avant d’intégrer Renault il y a un an, la jeune femme, originaire du nord du Maroc, était caissière. Elle apprécie, dit-il, ce  travail « sûr et correctement payé ». Chez Renault, elles sont 3% de femmes, moins que quota de 10% que s’était fixé le constructeur. Peut-être parce que site de Melloussa est loin de la ville. Il est en effet situé à 25 kilomètres de Tanger et à une cinquantaine de kilomètres de Tétouan. La plupart des ouvriers ne possédant pas de voitures, un système de navettes a été mis en place.

Illias Naji, 27 ans, qui habite la banlieue de Tanger, a pris sans peine l’habitude de se lever à 4h30 pour  attraper son bus. Après deux années d’études universitaires, il a travaillé cinq ans dans l’aéronautique. Chez Renault, il est chargé de superviser le travail d’une petite équipe à l’atelier peinture. Opérateur senior, OPS dans le jargon, il est payé 4 200 dirhams nets par mois, soit environ 377 euros. Il est fier de son job. « C’est pas seulement l’argent. Renault c’est une grande société. Et l’automobile c’est pas n’importe quel métier ! Renault a fait confiance au Maroc, alors nous, on fait le maximum ».

Directeur des ressources humaines dans de nombreuses grandes sociétés avant d’intégrer Renault Tanger, Salaheddine Sabik sait que le retour de vacances est toujours un moment sensible au Maroc. Un grand nombre de travailleurs, surtout s’ils travaillent loin de chez eux, oublient de revenir…  « Ici, dit-il, après un mois de congé, alors même que ces vacances tombaient cette année pendant le ramadan, une trentaine de personnes seulement manquait à l’appel. Du jamais vu au Maroc !Ancre».  Le constructeur automobile paye ses ouvriers un peu plus que le salaire minimum marocain : autour de 2 600 dirhams nets par mois (233 euros). Un ingénieur avec quinze ans d’expérience peut toucher jusque 24 000 dirhams (environ 2 150 euros). Au salaire, s’ajoutent des avantages sociaux: sécurité sociale, retraite complémentaire, primes pour les fêtes religieuses, primes de production, réduction de 10 à 20% sur le prix d’achat des véhicules de la marque. Conformément à la législation marocaine, un syndicat est en cours de constitution. « Nous souhaitons pouvoir donner à nos salariés la possibilité d’évoluer tous les quatre ou cinq ans », souligne Salaheddine Sabik. Ce sont ces perspectives d’évolution qui ont attiré Mourad El Hattach, 36 ans. Chemise blanche et pantalon de flanelle grise, ce père de famille avoue être entré chez Renault « pour la carrière ». Il a été recruté comme ingénieur responsable des conditions de travail. Il a sous ses ordres une équipe de sept techniciens et de deux ergonomes. Sa mission : l’analyse des risques et la gestion de la sécurité dans l’usine. « J’ai passé plus de dix ans chez Lafarge. J’avais besoin d’évoluer. Dans quelques années, je me verrais bien dans un poste tourné vers l’international ». En quittant Lafarge, Mourad a aussi augmenté son salaire de 60%.

C’est la pause déjeuner : ouvriers et cadres se mélangent à la cantine. Un fait rare au Maroc. « Le travail est difficile, répétitif. Dans la journée, les opérateurs ont dix minutes de pause, vingt minutes pour déjeuner. Lorsqu’ils voient que le directeur de l’usine lui-même descend à la cantine et s’assoit avec les ouvriers, ils se sentent davantage considérés. Renault est en train de révolutionner les pratiques dans le monde de l’industrie », affirme Salaheddine Sabik.

Dans la région, l’impact de Renault sur l’économie est visible. Un quart seulement des salariés est originaire de Tanger ou de Tétouan. Les 3 000 employés venus de l’extérieur avec leurs familles ont donné un coup de fouet à la consommation locale et au logement. Dans la sous-traitance, on estime à 10 000 le nombre d’emplois indirects créés. Dans le sillage de Renault, des fournisseurs tels que Valeo, Snop, Inergy, se sont installés sur la zone franche. Si les pièces mécaniques, notamment les moteurs et les boites de vitesse, sont importées d’Espagne, de France ou de Roumanie, 44% de la valeur ajoutée créée par Renault est locale. Avec l’arrivée du constructeur, de nouveaux métiers automobiles se développent au Maroc.

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