Maroc: les pensions, une solution pour l’éducation des filles
L’Express
Foyer d’El Moghrane © C. MAROT
Ambition du début du règne, la scolarisation des filles du monde rural reste très insuffisante. Le manque de structure d’hébergement près des collèges en serait la cause principale.
Dans la petite cour du foyer d’accueil pour filles d’El-Moghrane, une bourgade de 3 000 habitants, à quelques kilomètres de Kénitra, Intissar, 14 ans, révise ses leçons. Blouse blanche, voile gris noué sous le menton, la jeune fille, en deuxième année de collège, est appliquée. Première de sa classe, elle rêve de devenir médecin : « Cela fait deux ans que je suis ici. Ma famille vit dans un douar (hameau) à plus de 15 km. Il faut prendre une piste en terre pour aller jusqu’à la maison, explique t-elle timidement. Mon père est agriculteur. C’est lui qui m’a demandé si je voulais continuer mes études. J’en avais envie, bien sûr. Je sais que je pourrai vivre dans de bonnes conditions plus tard, aider ma famille ». Karima, une amie de son âge, acquiesce. Elle se voit plutôt ingénieur. Dans son village, les garçons sont obligés de traverser un oued en barque avant de continuer à bicyclette pour se rendre au collège, sauf à faire un détour de près de 50 kilomètres.
Comme Intissar et Karima, une vingtaine de filles, issues de villages enclavés de la région, sont pensionnaires du foyer d’Al Moghrane pendant la semaine. Géré par le Comité de soutien à la scolarisation des filles rurales (CSSF), via son programme « Une bourse pour réussir », le centre prend en charge l’hébergement, la nourriture et l’entretien des adolescentes pendant trois ans, le temps pour elles de terminer leur scolarité au collège. Montant de la bourse : 400 dirhams (36 euros) par mois et par fille. Sans cette maison d’accueil, Intissar, Karima et leurs camarades auraient arrêté l’école à la fin du primaire.
Créé il y a quinze ans, le CSSF réunit 44 foyers, dans chacun desquels une vingtaine de pensionnaires sont encadrées par deux adultes ; 2 500 filles du monde rural ont pu être scolarisées sur tout le territoire marocain. Financé par des entreprises privées, l’ONU Femmes et des associations de Marocains résidant à l’étranger, le CSSF accompagne les foyers d’accueil pendant neuf ans au maximum. Aux associations partenaires, ensuite, de prendre le relais.
Au Maroc, malgré les recommandations du Conseil supérieur de l’enseignement, il y a cinq ans, et le plan d’urgence pour l’éducation lancé en 2009, la scolarisation des filles du monde rural reste un vrai problème. Dans son dernier rapport sur les droits des enfants au Maroc, l’Unicef relève que 55, 3% seulement des filles vivant hors des villes sont inscrites au collège, contre quasiment 100% en milieu urbain (la moyenne nationale est de 83,7%). A la sortie du primaire, la déperdition est massive et s’explique par l’éloignement des infrastructures scolaires. Le nombre de collèges et d’internats reste insuffisant, alors que la population augmente, notamment celle des filles. L’habitat dispersé ne permet pas de recourir davantage aux moyens de transports scolaires. Or, pour une famille, il est impensable de laisser sa fille parcourir à pied ou à vélo une dizaine de kilomètres pour se rendre à l’école. Questions de sécurité, de réputation, de convenance, qui ne se posent pas pour les garçons.
« L’objectif était que, dans chaque commune, on puisse trouver un collège et à côté une dar taliba (maison d’accueil pour jeunes filles) ou un internat. Mais les résultats ne sont pas là ! », tempête Ilham Lagrich, présidente du CSSF. Dans certains villages, des dar taliba ont même dû fermer par manque de soutien financier. Les petites associations qui gèrent ces structures n’ont pas toujours les compétences pour le faire. « On n’a pas assez soutenu le milieu associatif », souligne la présidente du CSSF. Si l’Etat marocain, via l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), finance une partie des équipements, il laisse la gestion financière des foyers d’accueil aux mains des associations et des communes. A elles de trouver sponsors, mécènes, bailleurs… Le foyer d’El-Moghrane, par exemple, a été successivement financé par l’aide américaine (USaid), la Chambre américaine de commerce au Maroc, la société Motorola et aujourd’hui par une association française.
Autre difficulté : l’absentéisme des professeurs. Le métier est mal payé, dévalorisé, les professeurs rechignent eux même à parcourir de grandes distances l’hiver pour dispenser les cours. Les problèmes linguistiques surgissent lorsqu’un professeur arabophone se retrouve face à des écoliers berbérophones. D’où une perte de motivation générale et des élèves qui décrochent.
Dans le foyer d’El-Moghrane, le soutien scolaire est obligatoire, en mathématiques, en physique et en français. Les élèves qui arrivent des écoles primaires des villages ont souvent un niveau médiocre. « Nous sommes très vigilants concernant les résultats scolaires, mais le plus important est d’inculquer à ces adolescentes une ouverture d’esprit et des valeurs citoyennes », indique Sanaa Bouchqua, responsable du foyer. Originaire de la région, elle est membre du conseil municipal de la commune d’El- Moghrane. Une proximité qui porte ses fruits. A El-Moghrane, un conseil des parents se tient chaque mois afin de régler les petits problèmes du quotidien et de faire connaître les activités extrascolaires. Tous le jeudis, jour du souk, les mamans rendent visite à leurs filles.
Pour nombre des pensionnaires, quasiment jamais sorties de leur douar, venir vivre au foyer d’El-Moghrane est un chamboulement. « Certaines n’ont jamais vu une autoroute, ne sont jamais parties en vacances. Là elles se voient proposer des excursions à Ifrane ou à Rabat. On leur donne une alimentation diversifiée, un médecin vient tous les mois pour faire de la prévention », explique Mohammed Tabyaoui, vice-président du CSSF.
A El-Moghrane, la petite maison qui accueille la vingtaine de filles des douars environnants est spartiate. Dans les chambres exiguës, on a placé trois lits superposés le long des murs pour gagner de la place. Mais à quelques encablures, un bâtiment flambant neuf, financé par l’INDH et la commune, attend d’être inauguré. « Les autorités locales ici sont très impliquées, se réjouit Mohammed Tabyaoui. La scolarisation des filles, c’est notre problème à tous, parents, associations, élus. Bientôt, on pourra déménager les filles dans ce nouveau bâtiment et accueillir jusque 30 pensionnaires. Avec de bonnes conditions : deux filles par chambre, une bibliothèque, un centre multimédia… ». Coût du nouveau centre : 300 000 dirhams.
De temps en temps, les « anciennes » d’El-Moghrane » repassent par le foyer. Certaines sont aujourd’hui à l’université ou dans des écoles d’ingénieur. Un modèle pour les plus jeunes. A la fin de l’examen régional de fin de collège, 80% des filles qui ont transité par les maisons d’accueil du CSSF poursuivent leur scolarité au lycée. Elles peuvent en être fières, mais les animateurs de l’organisation aussi.