Costa Rica: l’ananas de la discorde

Culture de l’ananas, Costa Rica (photo Stéphanie Nedjar)

Enjeux

Sur les étals français et européens, l’ananas du Costa Rica est à la fête. Autrefois rare et exotique, il domine aujourd’hui le marché mondial. En 20 ans, la production dans ce petit pays d’Amérique centrale a été multipliée par 7 pour atteindre 3 millions de tonnes par an en 2018 (11% de la production mondiale, FAO), à destination principalement de l’Union européenne (44%) et des États-Unis (53%), selon la Chambre nationale des producteurs et exportateurs d’ananas (Canapep), faisant du Costa Rica le premier pays exportateur d’ananas frais au monde.

Le commerce est aujourd’hui dominé à 80% par la variété MD2 et par quelques grandes compagnies américaines, comme Dole Food Company, Del Monte Foods et Chiquita, et par la compagnie d’origine irlandaise Fyffes, indique un rapport du Centre néerlandais pour la promotion des importations en provenance des pays en développement (CBI), paru en 2018.

En Europe, sa consommation a quasiment triplé en 15 ans. L’Europe importe aujourd’hui plus de 900 000 tonnes d’ananas en provenance du Costa Rica, des échanges qui ont bondi après l’entrée en vigueur du volet commercial de l’accord d’association UE-Amérique centrale en 2013. Aujourd’hui, les Pays-Bas et la Belgique sont les principaux hub logistiques d’importation. Mais la plupart des pays consommateurs, Allemagne, France Royaume-Uni, Italie, Espagne, importent directement auprès du pays d’origine.

Utilisation massive de pesticides interdits

Mais comment expliquer un tel engouement et des marchés inondés par le Costa Rica, alors que l’agriculture intensive et son recours excessif aux produits chimiques dégradant l’environnement et la santé des populations est régulièrement dénoncée par la société civile, les ONG internationales, et un fait admis par les plus hautes autorités du Costa Rica ? Le Costa Rica est le pays qui utilise le plus de pesticides par hectare au monde, soit près de 20 kg par hectare selon l’Institut d’études et de substances toxiques du pays (IRET). A titre de comparaison, la France utilise environ 4 kg de pesticides par hectare.

« Pour l’ananas, ce chiffre atteint 45 kg par hectare », précise Fernando Ramirez Munoz, enquêteur à l’IRET. Dans le pays, les plantations d’ananas couvrent plus de 45 000 hectares et continuent de s’étendre dénonce la Fédération costaricaine de protection de l’environnement (Fecon). « Les producteurs d’ananas, principalement des entreprises étrangères, utilisent des produits dangereux et en grande quantité comme le bromacil et l’amétryne, qui sont interdits depuis longtemps en Europe, ou le diuron, interdit en France (…) Le bromacil a seulement été interdit au Costa Rica par décret en 2018, mais il continue d’être utilisé, car l’interdiction ne porte que sur les importations, pas sur l’emploi des stocks existants », indique Fabiola Pomareda, journaliste costaricaine spécialisée dans les questions environnementales.

Au Costa Rica, ces pesticides sont décriés car accusés de contaminer l’eau des puits et des nappes phréatiques, de rendre les sols stériles, de causer des maladies de peau et de l’estomac chez les riverains. La culture intensive de l’ananas dans le nord du pays où se trouve 56% de la production dégrade par ailleurs la couverture forestière ce qui accroit le réchauffement climatique.

Pour Mauricio Alvarez, géographe et coordinateur du projet Kioscos Ambientales à l’Université du Costa Rica, le problème est le manque de contrôle et de régulation dans le secteur. « Dans le nord, dans la région de Los Chiles notamment, il n’y a qu’un seul inspecteur pour toute la zone », s’exclame t-il. Un canton qui couvre 1 360 km2. « Et tout le monde sait quand l’inspecteur doit passer ! L’État n’existe pas là-bas et la police réprime les travailleurs », ajoute le géographe.

Le Costa Rica laisse faire le marché. « Nous sommes un petit pays et le problème c’est notre capacité à faire appliquer la loi et à contrôler, reconnaît de son côté Carlos Manuel Rodriguez, le ministre costaricain de l’Environnement et de l’Energie. Pour le ministre, le salut de l’ananas viendra… de l’Europe et de ses consommateurs.

Mais il est permis d’en douter. Dans son rapport paru en octobre 2019, le Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC) relève un déclin inquiétant des contrôles alimentaires à travers l’Europe et exhorte les gouvernements à allouer davantage de ressources aux inspections. En cause : la réduction drastique des effectifs dans les États membres et une réglementation trop laxiste. Le cas en France, où le contrôle des résidus de pesticides sur les denrées alimentaires d’origine végétale mises sur le marché est effectué par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, ministère de l’Economie) et en partie aussi par la Direction générale de l’alimentation (DGAL, ministère de l’Agriculture).

Contrôles insuffisants en Europe

Les contrôles de la DGCCRF ont vocation à s’assurer que les produits d’origine végétale achetés par les consommateurs, quelle que soit leur origine, ne contiennent pas plus de résidus de pesticides que les limites maximales réglementaires (LMR), définies et harmonisées au niveau européen. Des contrôles qui s’effectuent chaque année conformément à un plan de surveillance, qui sont non ciblés, à vocation statistique, afin de donner une photographie du marché des produits alimentaires en circulation.

La DGCCRF met aussi en place des plans de contrôle qui sont légèrement différent dans la mesure où ces plans sont plus ciblés, c’est à dire déterminés à partir d’une analyse de risque. Il existe enfin des contrôles renforcés à l’importation lorsque des dépassements ont été mis en évidence. Sur l’ensemble du territoire français, 5 000 prélèvements en moyenne sont effectués chaque année et plus de 470 substances sont recherchées par le service commun de laboratoires, partagé entre la douane et la DGCCRF.

Sauf que l’ensemble de ces contrôles en France représente seulement 12 échantillons pour 100 000 habitants, soit une moyenne très basse comparée au reste de l’Europe ! Selon le dernier rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments EFSA sur la présence de pesticides dans les aliments, publié en 2019, la France arrive en 25ème position sur 30 pays (UE + Islande et Norvège). Elle est en dessous de la moyenne qui s’établit à 17 échantillons pour 100 000 habitants et loin derrière l’Allemagne (23,3 pour 100 000), le Luxembourg (67 pour 100 000) et la Bulgarie (95,8 pour 100 000).

Retour à l’ananas du Costa Rica. D’après le bilan disponible de la DGCCRF concernant le plan de surveillance des résidus de pesticides dans les fruits vendus en France, portant sur l’année 2017, 20,4% des échantillons de fruits non conformes ont concerné les ananas. Sont pointés du doigt le triadimefon, un fongicide très toxique interdit en Europe, ainsi que le chlorpyrifos nouvellement interdit dans l’UE le 6 décembre dernier pour ses effets neurotoxiques, deux molécules retrouvées dans les ananas en provenance du Costa Rica, de la République dominicaine, de l’Equateur et de la Colombie. Le Costa Rica est incriminé dans plus de la moitié de ces teneurs en résidus non conformes détectées.

Pour François Veillerette, directeur de l’association française de défense de l’environnement Générations Futures, « c’est la première année qu’il y a un tel pic concernant les ananas. Mais tout dépend de ce qui est prélevé. En 2017, il y a eu 113 ananas prélevés, mais seulement 13 citrons ou 4 échantillons de fraises. L’année suivante, ce peut être très différent, la DGCCRF peut décider de cibler d’autres fruits, on peut donc passer complètement à côté de dépassements ». « Il y a un manque évident de contrôles et d’analyses lié à la baisse des moyens financiers et à la réduction des effectifs des services de la DGCCRF ces dernières années, conséquences des politiques d’économies menées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et de la modernisation de l’action publique. Or ces services sont essentiels pour protéger le consommateur et l’agriculture », ajoute-t-il.

Le rapport 2019 de la Cour des comptes ne dit pas autre chose. Ces politiques d’économies ont eu pour effet de faire baisser de 11% le nombre de contrôleurs dépendant du ministère français de l’Agriculture et de 20% ceux de la répression des fraudes entre 2005 et 2012. « Il faudrait également aller vers moins de pesticides et pouvoir aller contrôler sur place les moyens de production », plaide François Veillerette. Ou auditer les exportations d’ananas en provenance du Costa Rica ? Un retour à l’envoyeur en quelque sorte.

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