Dans le souk de Derb Ghallef, royaume marocain du piratage
L’Expansion
Casablanca, 10 heures du matin. Le souk de Derb Ghallef, haut lieu du piratage et de la contrefaçon, une sorte de Fnac marocaine à ciel ouvert, s’éveille. Le soleil darde ses rayons entre les 2 000 échoppes agglutinées sur l’immense terrain vague. Les premiers clients arpentent nonchalamment les ruelles étroites.
La quarantaine passée, Abderrahim et Nourdine, associés depuis dix ans, ouvrent le premier de leurs magasins. Ils en possèdent trois autres, approvisionnés en antennes paraboliques, téléphones mobiles et matériels électroniques. Les travaux pour l’ouverture d’une cinquième boutique se terminent. A l’évidence, les affaires marchent bien. « En moyenne, un magasin d’une dizaine de mètres carrés rapporte environ 2 000 euros par mois », explique Nourdine.
Licencié en mathématiques, Abderrahim est passé maître dans le « flashage » des cartes de récepteurs numériques, qui permettent de réactualiser les codes de réception des chaînes satellitaires. « Nous disposons d’un programme à base d’algorithmes », explique-t-il. Recevoir les bouquets de télévision par satellite au Maroc est très abordable : l’achat d’un récepteur piraté coûte une soixantaine d’euros. « Derb Ghallef est une fenêtre sur le monde à prix minime. C’est de cette manière que les Marocains peuvent consommer », lâche Nourdine, tout en reprenant un verre de thé à la menthe.
La copie d’un jeu vidéo vaut 1 euro
Derb Ghallef, c’est une soupape, dans un pays où le salaire minimal équivaut à 196 euros par mois. « Près de la moitié des Marocains fréquentent ce marché au moins une fois par an », estime un responsable du ministère du Commerce.
Hakima, 30 ans, célibataire, est une inconditionnelle. Elle ne gagne que 240 euros par mois, mais c’est la troisième fois depuis le début de l’année qu’elle vient pour échanger son téléphone mobile. Moyennant 80 euros, le vendeur reprend son ancien appareil et lui remet un téléphone, ultramince, plus tendance. Youssef, fonctionnaire, regrette la mort des cinémas de quartier à cause des cassettes et DVD piratés de Derb Ghallef. Mais lui aussi avoue fréquenter ce souk. « Je trouve des CD de musique gravés pour 80 centimes, dit-il. Pourquoi les acheter plus chers ? »
« Le jeu vidéo est une distraction très populaire chez les enfants marocains en raison du piratage », explique de son côté Cyril Vermeil, directeur d’Ubisoft Maroc. Une copie vaut 1 euro quand le circuit officiel propose des jeux à 40 euros. Le piratage aurait représenté environ 70 % du marché domestique de disques audio et vidéo et des logiciels informatiques en 2006, selon l’association professionnelle Business Software Alliance.
Parfois, un élu local menace de faire le ménage à Derb Ghallef. Mais il se heurte vite à la résistance des vendeurs et de la population. « Il y aurait des émeutes si les échoppes disparaissaient, estime Nourdine. Du coup, tout le monde ferme les yeux. » La principale hantise des commerçants et des habitants du quartier, c’est que le bazar prenne feu à cause des fils électriques qui pendent dans tous les sens…