Le Maroc ne veut pas rater le train de l’hydrogène vert

ENJEUX

Photo Pierre-Yves Babelon, AdobeStock

Le royaume chérifien a lancé sa stratégie nationale à 2050 pour l’hydrogène vert, afin de structurer la filière industrielle. Objectifs : servir le marché national et répondre aux besoins colossaux de l’Union européenne en énergie propre.

Pivot et catalyseur de la transition énergétique, l’hydrogène vert est devenu ces derniers mois l’objet de toutes les attentions, celles de chercheurs, d’industriels, de financiers, de responsables politiques. Il faut dire que ses applications sont nombreuses et climato-compatibles. L’hydrogène vert, propre, peut être converti en électricité, en chaleur ou en force motrice, sans émission de CO2, et se substituer aux hydrocarbures. Il peut être utilisé dans les transports, il peut aussi servir de support de stockage.

L’Europe, la Chine, l’Inde, le Japon, les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Chili, chacun y va aujourd’hui de sa stratégie ou de son plan de développement pour saisir les opportunités de la filière. Et l’Afrique du Nord n’est pas en reste, elle qui bénéficie d’un potentiel solaire et éolien remarquable. La pandémie de Covid-19 plaide par ailleurs pour une relocalisation régionale des pôles industriels stratégiques.

La France veut ainsi consacrer plus de 7 milliards d’euros au secteur de l’hydrogène vert, l’Allemagne a annoncé un plan de 9 mds€, l’Espagne table sur 1,5 md€. De son côté, l’Union européenne a renforcé le soutien réglementaire à l’hydrogène vert dans son paquet législatif sur le climat « Fit for 55 ». Le marché européen de l’hydrogène est basé actuellement à 96% sur les gaz fossiles.

Face à cette vive concurrence et dans le sillage de l’Union européenne, le Maroc a dévoilé en août dernier sa feuille de route pour l’hydrogène vert à 2050, avec comme objectif de préparer un environnement compétitif pour faire émerger les projets. Le Royaume chérifien entend bien profiter de son potentiel d’énergies renouvelables et de sa situation géographique, à quelques encablures de l’Europe, pour exporter un jour des dérivés d’hydrogène vert.

Mais si l’hydrogène décarboné, obtenu à partir des énergies renouvelables, est prometteur à plus d’un titre, son exploitation à l’échelle industrielle mondiale en est encore à ses prémisses et sa rentabilité pas évidente. La filière est à construire et les limites techniques doivent être dépassées. Le plan marocain vise ainsi à développer la recherche et les technologies innovantes pour diminuer les coûts et valider des solutions techniques de production et de stockage. Objectif à terme : construire une filière industrielle marocaine intégrée de l’hydrogène vert, en s’appuyant notamment sur des coopérations internationales.

Dans un premier temps, le Maroc entend répondre aux besoins de son marché domestique en approvisionnant en ammoniac vert le géant marocain des phosphates OCP, qui importe annuellement 2 millions de tonnes d’ammoniac (utilisé dans la fabrication d’engrais azotés). L’ammoniac est un gaz qui combine hydrogène et azote (NH3). Il s’agit également de décarboner l’industrie locale.

« A court terme, il s’agit de répondre au besoin national notamment de production et d’exportation d’ammoniac vert. Plus tard, viendra la question du stockage de l’hydrogène, puis tout ce qui est lié au réseau électrique, véhicule et transport lourd. Sur le long terme, les sujets portent sur l’utilisation de l’hydrogène vert pour la chaleur industrielle et pour les véhicules légers », précise Badr Ikken, directeur général de l’Institut de recherche en énergie solaire et en énergies nouvelles (IRESEN) et vice-président du Cluster Green H2. L’export vers l’Europe en lien avec la stratégie de l’UE pour l’hydrogène est également dans le viseur.

« Nous avons mené en 2018 et 2019 plusieurs études, l’une avec le World Energy Council, une autre avec le centre de recherche allemand Fraunhofer, également avec le cabinet d’économistes anglais Frontier Economics, qui ont conclu que le Maroc était en mesure de capter 2 à 4% de la demande mondiale d’hydrogène vert. Le Maroc a l’avantage de produire du renouvelable quasi en continu et à bas coût, grâce à une combinaison solaire et éolien (…) Dans le même temps, plusieurs pays européens veulent décarboner leurs économies et se voient obligés d’importer de l’énergie propre. Des projections à l’horizon 2050 évoquent un besoin qui pourrait dépasser les 7 000 térawattheures pour répondre aux objectifs fixés par l’Union européenne. C’est un besoin énorme ! Nous pouvons répondre partiellement à cette demande », indique le directeur de l’IRESEN.

Pour bâtir cet écosystème de l’hydrogène vert, le Maroc a lancé Green H2, une plate-forme internationale fédérant chercheurs, industriels et pouvoirs publics dédié à l’innovation industrielle et ses applications (Power-To-X). Ce cluster compte parmi ses membres l’Office national marocain des hydrocarbures et des mines, l’agence marocaine pour l’énergie durable Masen, l’OCP, l’Université Mohammed VI Polytechnique, l’Institut de recherche en énergie solaire et en énergies nouvelles (IRESEN), Maghreb Oxygène, le holding marocain Nareva, mais aussi Siemens Energy, EDF, Engie, Air Liquide, BASF, Vestas, Enel John Cockerill, Thyssenkrupp, Sumitomo Corporation. Côté français, la Task Force Hydrogène du Medef international, coordonnée par Bogdan Gadenne-Feertchak, suit l’initiative marocaine avec beaucoup d’attention. Les énergéticiens et les majors du renouvelable guettent en effet les opportunités dans le royaume.

Le Maroc a d’ores et déjà initié des pilotes de 1 à 5 mégawatts sur le site industriel de l’OCP de Jorf Lasfar, et en particulier un premier pilote préindustriel de production de 4 tonnes par jour d’ammoniac vert équipé d’une capacité d’électrolyse de 4 mégawatts.

Outre ce premier pilote pour l’ammoniac vert, un autre pilote préindustriel est prévu pour le méthanol vert et d’autres pour la production de combustibles synthétiques, diesel synthétique et kérosène synthétique, ainsi que pour l’utilisation de l’hydrogène dans le secteur de la sidérurgie.

Le royaume chérifien cible aussi des projets de plus grande envergure, de puissance de 50 MW à 100 MW. « Pour cela, il faut que les équipementiers soient en mesure de produire des électrolyseurs de grande capacité, supérieurs à 5 MW. Cela devrait venir dans les deux à trois ans. L’un des premier producteur d’électrolyses au monde, John Cockerill, travaille sur la mise au point d’électrolyseurs de 20 MW notamment. Tous se préparent à la montée en puissance. Car pour passer à la production industrielle, il faudra passer du mégawatt au gigawatt », précise Badr Ikken.

Le Maroc prépare la filière de demain. « Ne reproduisons pas l’erreur du photovoltaïque, qui a vu toute sa valeur ajoutée se déplacer en Asie », avertit le directeur de l’IRESEN. « Si nous nouons des alliances, construisons tout un écosystème industriel pour faire en sorte que l’on soit réellement présents dans le développement de l’hydrogène et pas seulement des consommateurs ! ».

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